Le Canada en deux thèmes

(J’ai écrit ce texte il y a deux jours. Il y a donc un petit décalage dans les indications temporelles)

C’est bientôt Noël. Je rentre au Canada pour deux semaines. J’égraine les jours. C’est long.

Ça fait 12 mois que je ne suis pas rentré dans mes terres. Prévisions météo pour demain : neige, 30 cm, -10 degrés. La prévision pour mardi prochain, jour de mon arrivée : entre -9 et -20. Et la tendance 14 jours : après la tempête de demain, remontée de la température vers zéro, puis chute drastique autour de mardi, puis légère remontée qui stabilisera autour de -7 les jours suivants.

Je traduis pour les Français, qui ne savent pas interpréter ces données. Grosse chute de neige = accumulation au sol. Remontée de la température = transformation de la neige en eau. Puis, chute drastique de la température : l’eau se transformera en glace. Par la suite, la température reste sous zéro pendant une bonne période : la glace ne fondra pas.

En d’autres termes, c’est un de nos plus redoutés patterns météorologiques hivernal. La ville est transformée en immense patinoire. Et la glace ne fond pas. Le seul moyen de s’en débarrasser, c’est de l’user. Pour aider les citoyens dans cette tâche, la voirie étend habituellement sur les trottoirs un mélange de gros sel et de petits cailloux. Ça sert d’antidérapant. Les piétons marchent sur les cailloux, et ça érode la glace. Tout le monde se croise les doigts pour que la glace ait totalement été éliminée avant la répétition du pattern météo. Je dis « la voirie étend habituellement ». Il se peut que ça ait changé. En ces temps de crise, il arrive que les municipalités trichent un peu. Ils oublient de réagir à la première tempête. Ils attendent la suivante. Y’a un budget à respecter. Quand ça arrive, on patine, et c’est tout. C’est ça l’hiver canadien. Les p’tits vieux se cassent la hanche en tombant. Les plus jeunes tombent sur leurs fesses et cassent leurs IPhone. Les voitures ont peine à freiner. Mais comme elles ne roulent pas trop vite, ça ne cogne pas trop quand elles vous heurtent. Après le rebond, suffit de bien tomber à côté du véhicule, et non pas sous ses roues, et généralement ça va. Une petite contusion sur la cuisse, peut-être un coude fêlé l’atterrissage.

Source photo : wikipedia.

Au Canada, la météo est un sujet de conversation important. Elle est le ciment de plusieurs amitiés. Bien des couples sombreraient dans l’ennui sans la météo. Le hockey est muni d’un système d’arbitrage avec aide vidéo, ce qui élimine assez bien la triche. Nos politiciens font encore l’effort de se cacher pour exercer leurs activités de corruption et de népotisme. Au lieu de 27 suzerains, nous avons un seul chef, à Washington. Ça laisse bien peu de place pour les débats. Y’a le disque de la souveraineté, qui saute depuis 40 ans. Sinon, pour les vrais débats de fond, y’a que la météo.

Nous avons une chaîne météo, 24h sur 24h. Elle est très regardée. Pas le genre de truc au fin fond de la liste des chaînes alternatives, à la position 265, non! Elle vient avec les principales chaînes d’information, dans le premier niveau d’upgrade, juste au dessus de l’abonnement de base. En boucle, à toutes les 10 minutes, y’a une dame qui te dit que des giboulées sont attendues à Iqaluit. C’est à 3500 km au nord de Montréal, mais c’est intéressant quand même. Ils diffusent aussi l’indice de la qualité de l’air dans les principales villes, avec le taux de pollen.

Moi qui ai tant pesté contre l’hiver, il me manque soudainement. L’hiver, on le trouve magnifique pendant deux semaines. Belle coïncidence, c’est exactement la durée de mes vacances. Après deux semaines, le charme initial de cette saison commence à s’estomper dans nos cœurs. Au bout de la troisième semaine, en moyenne, apparaît une haine profonde qui se manifeste le plus couramment par des tirades du genre : « Maudit caliss de pays d’cul d’ostie de Jacques Cartier d’innocent d’Français trop cave pour faire comme les Espagnols pis aller au sud au lieu d’venir crever icitte les deux gosses pognées dans la glace, sacrament! »

Mais bon, j’ai hâte de revoir l’hiver, comme le disais Charlebois. C’est dans mes gènes. L’hiver, les sons sont différents. Les couleurs aussi. Et le ciel est bleu. J’explique aux Parisiens, qui ne connaissent peut-être pas le concept : le ciel est bleu, comme dans Bleu Blanc Rouge, ou Écran Bleu Windows de la Mort. Et oui, un ciel peut être bleu! Vous ne le saviez pas, hein? Vous pensiez que les photos des agences de voyages étaient truquées dans Photoshop. Ben non! Un ciel tout bleu, avec en plein milieu un soleil brillant mais froid.

La météo canadienne, c’est vraiment un sujet à part entière. La preuve : je vous en parle depuis bientôt 8 paragraphes, et vous trouvez ça fascinant. On devrait organiser un jeu-télé :
-Monsieur Tremblay, quelle a été la hauteur totale des précipitations de neige dans la ville de Québec pendant l’hiver 2007-2008?
-Euh… six mètres!
-Bravo Monsieur Tremblay, c’est la bonne réponse! Vous gagnez cette magnifique pelle Canadian Tire d’une valeur de 25 dollars!

Oh oui, Canadian Tire! J’ai tellement hâte! Cette chaîne de magasins, c’est comme le Ikea du Canada. Londres a Harrod’s, la France a les Galeries Lafayette, l’Espagne a Il Corte Ingles, les USA ont Wal-Mart, et le Canada a Canadian Tire. Y’a pas plus typé canadien que ce magasin. Le nom est anglo. Si on traduisait la raison sociale, ça serait quelque chose comme Pneus Canadiens. Mais au Québec, on aime mieux dire « Canadienne Tirelire ». Ça ne veut rien dire. C’est juste un vieux calembour stupide qui s’est fixé dans la langue populaire. Un peu comme les surnoms. (Avez-vous déjà remarqué que ce ne sont jamais les surnoms les plus éloquents qui restent? C’est souvent le truc futile, fortuit. Par exemple, un mafieux new-yorkais pourra être connu sous le sobriquet « Car Wash » simplement parce qu’un jour sa voiture aura été endommagée dans un lave-auto. Tony Car-Wash Zanotti. Un truc con comme ça.)

Donc auparavant, Canadian Tire était principalement un commerce de pièces d’auto, d’où le « pneu ». Mais maintenant, y’a tout ce qu’il faut pour le vrai Canadien. Si, lors d’une visite au Canada, vous ne deviez visiter qu’un seul magasin, je vous recommande Canadian Tire. Articles de chasse, fusils, cannes à pêches, articles de camping, tapis de voiture, lumières pour le sapin de Noël, poêle BBQ, tondeuse à gazon, ailerons pour le capot arrière de l’auto, perceuse, produits de nettoyage, vêtements pour marcher dehors par -40, micro-ondes, cabanes à oiseaux, peinture, fumoir à poisson portatif… ça n’arrête plus. C’est comme un Castorama, mais avec en plus des armes de chasse et des machins pour tuner votre auto. Allez voir! (Cherchez la section "Articles en solde" dans la colonne de gauche. Vous y trouverez la réunion de produits la plus improbable qui soit. Côte-à-côte, vous verrez une clé USB, une remorque, un lavabo, des choppes à bière, etc.)

Faut vraiment être expatrié pour ressentir le genre d’émotion qui m’étreint en ce moment. Non mais sérieusement, je vous l’avoue candidement, right now as we speak, j’ai une rage de Canadian Tire. J’ai envie de déambuler dans les allées et de voir tous ces produits qui ont jalonné ma vie. La cire pour auto New Finish. Le tapis sauve-pantalons. Le Hertel. Les poêles au gaz Coleman. Les souffleuses Toro. Le sel à glace Sifto. Les poches d’engrais C.I.L. Les lumières Noma. Les poignées de porte Weiser. Les toilettes American Standard. Les pneus Motomaster. Le WD-40. La peinture Sico. Les bicyclettes CCM. Les bâtons de hockey Sherwood. Que ces noms sont doux à mes oreilles.

C’est absolument con, mais ces choses me manquent. Comme le camembert Président ou la Kronenbourg pourraient manquer à un Parisien en exil.