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Au Québec, il nous arrive parfois d’utiliser l’expression « maudit Français ». Au-delà de l’insulte, je crois qu’il faut y voir un statut particulier. On n’entend jamais « maudit Sénégalais », ou « maudit Tibétain ». D’après moi, c’est parce que le Québécois a le Français dans son cœur. Alors quand ce dernier ose une critique, et Dieu sait qu’il ose souvent, elle est plus fortement ressentie, comme si elle venait d’un frère ou d’un cousin. Comme une mini-trahison de la part d’un allié, d’où ce cri du cœur « maudit Français », l’équivalent franco-canadien de « Et toi, Brutus? »
Mais bon, le faux-frère, ces derniers jours, c’est moi. Afin de donner à mes concitoyens québécois quelques bases de fierté, j’ai fait des comparaisons avec la France. J’ai parfois été un peu dur. Et je vous ai promis de me racheter. Alors me voici. Je vais dire du bien de quelque chose; prenez une photo pour la mémoire. Et je ne parlerai pas de bouffe (enfin pas trop), ce qui est plutôt rare.
Comme j’ai le muscle de l’éloge atrophié, je vais me réchauffer avec la science. Je ne suis pas le seul à dire que les Français sont d’excellents théoriciens. Ils sont bigrement forts en maths. Souvent, ils maîtrisent leur sujet à fond. Et ils adorent s’en vanter – CLAC! (bruit de la règle sur mes doigts) Sérieusement, je ne sais pas comment se fait l’enseignement ici, mais je crois que les écoles françaises produisent du savoir de qualité. Dans mon travail, je des collègues impressionnants. Leur méthode logique est moins brouillonne qu’en Amérique. Si au moins ils buvaient un peu moins – RE-CLAC!
Un beau trait des Français, c’est leur curiosité. En fait, je ne sais pas si c’est de la curiosité, sinon un grand désir d’aller vers l’autre… pour lui raconter des bobards RE-RE-CLAC! Aiiilllleuh! Bon, ok, ok, ça vaaaa j’arrête! Non mais enfin, plus moyen de rire un peu, merde!
Je disais donc que les Français sont des animaux très sociaux. Ici, beaucoup d’accent est mis sur les relations sociales. Puisque que 25% des Français admettent piquer le bon travail de leurs collègues (c’est pas moi qui le dit, étude ici) , il est préférable, pour cheminer professionnellement en France, de miser sur le networking plutôt que sur la qualité.
Mais sérieusement, les Français adorent faire du social. Dès mon premier jour au boulot, on m’invitait à joindre le groupe pour aller à la cantine. Et dès le troisième soir, j’avais pris ma première cuite avec mes collègues. Bon, en moyenne, la première cuite survient dans les 24 premières heures, mais des obligations reliées à mon emménagement m’avaient empêché de rejoindre mes collègues les deux premiers soirs. Pour me faire pardonner, je me suis repris les quatre soirs suivants.
Tous les matins, les gens se saluent et se serrent la main. Et y’a les cafés, au milieu de l’avant-midi, après la cantine, et dans l’aprem. On discute. On fraternise. On échange à propos de la main de Thierry Henry. Les fanatiques de la productivité condamneront ces pratiques, mais je rappelle que la productivité, telle qu’on l’entend en Amérique, n’est pas nécessairement productive ici. Souvent, deux ou trois blagues bien scato près de la machine à café peuvent faire gagner plusieurs jours sur un projet : suffit de dérider un collaborateur le temps d’un café-machine pour voir disparaître certaines formalités administratives toutes aussi contraignantes que futiles. Mais blague à part (encore), c’est un beau trait des Français, cette aptitude à socialiser. Si y’avait pas eu les cafés, j’aurais jamais su qu’on ne fait pas ses courses chez Monop’ parce que c’est trop cher. Ni qu'il faut se prosterner à l'approche d'un patron. Pour un expat qui débarque en Amérique, ça ne doit pas être facile de s’intégrer, quand les communications sociales au travail se limitent à quelques hochements de tête, et qu’à 17h00 c’est « aur’voir ad’main ».
Un autre beau trait des Français, c’est leur chauvinisme. Je sais, d’habitude c’est un terme péjoratif. Mais c’est rafraîchissant de voir des gens défendre unanimement leur pays et leur culture. Rappelez-vous que je proviens d’une région du monde où ces sujets sont débattus non-stop depuis 40 ans, avec un beau clivage en plein milieu. Les Québécois souverainistes crient à l’injustice tout en revendiquant leur utopie. Et les Québécois fédéralistes s’affirment timidement, de peur d’alimenter un débat stérile au cours duquel ils sont inévitablement traités de traîtres. Alors c’est doux à mon oreille, ces affirmations d’amour pour les « meilleurs vins du monde », les « meilleurs fromages de l’univers », le « plus belles fringues », les « femmes les plus classe », la « plus poétique des langues », les « meilleurs programmes sociaux », les « plus longues vacances », la « première dame la plus sexy », le « président le plus compact », etc. etc. Généralement, quand il parle de son pays, le Français a une étincelle dans les yeux. Qu’il ait raison ou non, je lui envie cet amour sans partage. On aurait bien besoin d’une telle ferveur chez nous.
Les Français sont d’excellents debaters. Je ne trouve pas d’équivalent français pour ce mot anglais. Pas polémiste, pas rhétoricien. Un debater, c’est surtout quelqu’un aime débattre et qui le fait bien, avec un certain charisme. Les Français parlent avec enthousiasme et aplomb. Ils sont revendicateurs. Ils n’abandonnent pas. Même quand ils ont tout faux, même quand le combat est perdu. Parce qu’ils aiment ça. Comme Mohammed Ali aimait la boxe. C’est une belle qualité. Si j’avais à monter une équipe de vente, ou une équipe politique, il y aurait quelques Français. Et pas seulement à cause de leur talent dans le débat, mais aussi à cause du charme.
Oui, les Français sont charmants. Les Françaises aussi. Ils aiment les sous-entendus. Ils envoient des sourires. Ils draguent. Ils flirtent. S’ils sont charmants, c’est qu’ils se sont donné le droit de l’être. Bon, les dames se plaindront parfois d’une certaine lourdeur. Et c’est vrai que j’ai vu des mecs ici aller à la frontière du harcèlement. Que voulez-vous, y’a des cons partout. Mais la majorité intelligente sait habituellement quand il faut arrêter. Et cette espèce de jeu amène beaucoup de fraîcheur dans les rapports sociaux. J’aime bien cette liberté à la courtoisie, cette place donnée aux mini-espoirs et aux petites illusions. Même si on sait très bien que rien n’ira jamais plus loin, on flirte un peu. On badine. C’est bien, cette possibilité qu’on se donne de tâter le terrain sans que ça soit reçu comme une agression. Et si c’est pas possible, ça se laisse entendre de manière cordiale.
Les couples français ont l’air amoureux. C’est tout ce que je peux dire. Je ne sais pas si c’est réel. Mais les amoureux français sont beaux à voir. C’est dans leur regard. Y’a comme une fierté à être ensemble. Je ne sais pas d’où ça vient. Ce que je sais, pour l’avoir entendu d’un amoureux, c’est qu’ils se donnent le droit à un bon degré de franchise. « Cette robe te grossit. » « Tes potes m’énervent. » Ils se donnent le droit à l’engueulade sans choc post-traumatique. Peut-être que tout ça permet de désamorcer les choses rapidement, avant que naisse l’amertume. D’où une harmonie plus visible. Bon, je spécule, mais les amoureux français sont vraiment jolis.
Les Français sont puristes. Parfois, c’est chiant. Quand on n’a de budget ou de temps que pour une demi-mesure, ça peut devenir compliqué. Mais ce côté puriste a ses avantages. Quand il faut du beurre, le Français met du beurre, et pas de la margarine. Et un Pont-l’Évêque, ça vient de Pont-l’Évêque, pas de Budapest. C’est particulièrement évident dans l’alimentation. En Amérique, on tolère toutes sortes de raccourcis. Et la somme de ces approximations finit souvent par donner du dégueulasse. Un cassoulet aux fèves de lima et au poulet confit dans l’huile de palme, ce n’est plus un cassoulet. Confiez un truc à un Français : ça sera peut-être mal organisé, mais ça sera bien fait.
Les Français se donnent le droit de confronter, de protester. Encore une fois, ça peut ralentir le processus, mais y’a au moins une place pour l’opinion. Oui, certains contestent tout et n’importe quoi, ou utilisent la manœuvre pour des raisons purement politiques. Mais bon, c’est ça la liberté d’expression. Mais, direz-vous, la liberté d’expression existe aussi en Amérique. Oui, mais une pression à la rectitude politique, à la conciliation, nous fait souvent utiliser un langage un peu hypocrite. Le film Office Space, que j’ai vu récemment grâce à un ami, est un bon exemple. Il y a ce patron, faussement sympa, qui passe ses ordres dans un langage copain-copain. Un extrait : « I’m gonna need you to go ahead and come in tomorrow, so if you could be here around nine, that would be grrrreat! » Ce langage laisse faussement l’impression que l’employé a l’initiative. Un autre magnifique euphémisme du monde professionnel américain, c’est « we’re gonna have to let you go / nous sommes forcés de te laisser partir ». On l’utilise pour virer quelqu’un. Splendide! Comme si l’employé avait sollicité son renvoi. Et le pauvre patron, qui se déresponsabilise de sa décision, comme s’il avait été forcé d’agir ainsi par ordre de la CIA. Toute cette culture du positivisme, cette mise en scène de franche camaraderie, à trouvé son expression la plus désespérante dans les fameux motivational posters. Sur les murs du bureau de ton meilleur ami le patron, ces affiches avec de belles phrases lénifiantes :
Challenge: push yourself to the limit and experience wonders you never imagined.
Achievement: do not look at small advantages – aim high and achieve greatness.
Le genre de truc qu’on entendrait dans une chanson des Spice Girls. À un moment, ça finit par ressembler à la propagande idéologique qu’on lit sur les murs des usines chinoises. Les Français, eux, refusent d’être ami avec tout le monde. J’y trouve une certaine honnêteté.
Un dernier point, même si je pourrais continuer comme ça longtemps. Les Français sont de grands consommateurs de culture. Ça ne les rend pas nécessairement plus « cultivés ». Leur geste culturel peut être celui d’assister à une projection de Die Hard. Mais ils font le geste culturel. Ils vont au musée. Les cinémas sont pleins. Il y a des gens au théâtre, même si c’est pour du boulevard. Au boulot, la boîte organise des concerts et des conférences pour les employés le midi. Plusieurs émissions de radio offrent de la vraie matière. Les bureaux de presse vendent un tas de revues d’histoire, de science, de politique, de philosophie. Et on est loin des publications américaines, qui sont souvent trop vulgarisées. La revue française soupçonne ses lecteurs d’intelligence. Et je ne veux pas entrer dans le débat du VRAI art, ni dans la rhétorique culture vs spectacle. Les goûts ne se discutent pas, même les goûts discutables. Je dis seulement que si l’offre culturelle est si variée, c’est probablement parce que les Français se montrent friands.
Un dernier point, pour vrai. Les Français sont sympas. Une fois sortis des manœuvres politico-professionnelles, une fois arrivés au bar, sur la terrasse ou au resto, les Français sont sympas. Ils ont envie de rigoler. De raconter des blagues allusivement salaces. D’inviter des inconnus à faire la fête avec le reste du groupe. De draguer. De faire du bruit. De payer des tournées. De suivre les passantes d’un regard satisfait. De partager une grosse bouffe ou des pâtes. De dormir sur le plancher d’un ami. De faire pester monsieur le curé. Ici, y’a que les expats qui disent : « Non, non merci, c’est vraiment gentil, mais je travaille demain. »
P.S. – Je viens de me relire. Je suis vraiment nul quand j’essaie d’être gentil. Au fond, je suis né pour être mesquin. Et en plus, comme je suis lâche, je vais laisser quelqu’un d’autre faire le sale boulot. Un ami Français, expatrié au Québec depuis plusieurs années, vient de m’envoyer ce lien. En plus, c’est un Français qui a écrit la chanson. D’un autre côté, je crois qu’on pourra parler de réelle maturité lorsque de telles chansons seront écrites et tolérées au Québec.
Re-P.S. – Pour vous distraire cette semaine, cherchez « Casimir » dans Google Photos.
7 commentaires:
Encore une fois, tu me fais voir un paquet de choses que je n'avais pas discernées sur mes ex-compatriotes. Ton acuité est tellement bluffante que c'est est presque fatigant!
Je vais ajouter un lien permanent dans mon CV vers ce billet ;-D
Le Québec ne te manque pas trop?
J'adore le "Ze", c'est typiquement français je crois cette façon de prononcer le "the" :-)
Quand allons-nous apprendre à parler l'anglais correctement ? C'est foutu d'avance je crois... Pis comme on dit chez nous en Anjou, "on s'en tamponne le coquillard" Yyeess!!!
Bonne et belle soirée, Sylviane
Sylviane, mes collègues sont excellents à l'anglais écrit. Alors pourquoi l'accent?
Y'a un Français qui m'a dit un truc intéressant sur le sujet.
Il a dit que quand un Français fait l'effort de prononcer correctement, on le nargue. On lui reproche de se donner un style, ou d'avoir la grosse tête. L'accent ne viendrait donc pas d'une sorte d'incapacité phonétique, mais plutôt d'une pression sociale à ne pas trop afficher sa compétence, par peur des quolibets de jalousie.
J'ai trouvé le point de vue intéressant, et il expliquerait bien la disparité de compétence entre l'oral et l'écrit.
Bonjour,
Je viens de lire un certain nombre de post sur votre blog et je dois vous dire que râleur, sarcastique et critique comme vous êtes, vous avez quelque chose de très français ou du moins, de très parisien.
Merci pour ces billets qui sont vraiment très sympathiques.
AM
Merci. Je sais. Après six ans et un bébé ici, je vais certainement devenir moi-même Français d'ici peu...
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