mardi 11 août 2009

Le Français expliqué aux Martiens



Bon, ça y est. Ça fait 13 mois que je suis ici, à mariner dans le contexte français, y allant de mes petites observations. Je crois que je suis mûr pour une distillation de mes idées. Donc, à partir d’aujourd’hui, et pour les prochains billets, je me lance dans un projet ambitieux. Je vais expliquer le Français. Je vais présenter ma vision de Martien, à l’attention d’autres Martiens. Il y aura des maladresses. Des impolitesses. Mais bon, on ne fait pas de tarama sans battre un Grec.

Pourquoi je parle de Martien? Parce qu’au début, aux yeux de l’étranger, le Français est un véritable extra-terrestre. Mais après un moment, il faut se rendre à l’évidence qu’en France, le Français est chez lui. S’il y a un Martien à Paris, c’est moi. Je vous donne un petit exemple, mais vous irez voir bientôt chez MissK pour mieux comprendre. Avec l’appareil-photo, mademoiselle a documenté ces petites affiches « Fermé pour les vacances » que les Français mettent dans la porte des commerces. Pendant qu’elle prenait ses photos, les gens nous regardaient d’un air ahuri. Ils avaient l’air de se dire : « Mais qu’est-ce qu’ils foutent ces deux cons ? » Parce que pour un Français, rien de plus banal qu’une affichette « fermé-vacances ». Dans la tête du Français, tout est normal, sauf ces deux Martiens qui prennent des photos. Ils sont bizarres les touristes. Qu’est-ce que ces affichettes peuvent bien avoir d’intéressant? Parce que sur la planète France, il est tout à fait normal, quatre semaine par année, de déplacer la majorité de l’activité économique du pays vers un seul et même lieu appelé « la Côte d’Azur ».

Donc, cette petite étude, je la fais à l’attention des autres Martiens. Je ne sais pas quelle sera mon assiduité, mais j’essaierai d’aller au fond des choses. Je parlerai des Français, mais en fait je parlerai surtout de moi. J’espère aider d’autres Martiens à mieux comprendre. Et j’espère que des Français comprendront mieux comment leur « normalité » à eux est perçue par le Martien moyen que je suis. Premier sujet, le « tout au même moment ».

Tout au même moment


(source)

Il y a des trucs que les Français font tous au même moment, sans trop se poser de questions. Le truc dont on entend le plus souvent parler à l’étranger, ce sont ces fameux bouchons sur les autoroutes, lors des vacances estivales. Ça fait les bulletins de nouvelle, même au Canada. 500 kilomètres de bouchons. 1000 kilomètres. Pour nous, Américains, c’est complètement inédit. Inimaginable. Pourtant, le système autoroutier français est magnifique. Il est fluide, entretenu, vraiment top-qualité. Mais bon, une fois par année on décide de tester à fond la couture. Les Français partent tous en même temps, dans la même direction. Ils font un test d’évacuation, comme si on leur avait annoncé l’arrivée imminente d’un cataclysme. Ouragan Katrina II. Invasion par l’armée belge. Je ne sais pas.

Cette période annuelle doit être un laboratoire magnifique pour les autorités, qui peuvent recueillir les données stratégiques sur lesquelles sont échafaudés leurs plans d’urgence. (Ça tombe bien : les réacteurs nucléaires français prennent de l’âge.) Et tout ça se fait dans la gaieté. Au journal télévisé, t’as toujours un Français qui a parcouru à peine 88 km en sept heures. Il est philosophe. Presque souriant, il déclare à la caméra : « Ben c’est comme ça hein! Faut être patient. C’est toujours comme ça les vacances. » Il est heureux, il imagine déjà les plages, qu’il devrait voir d’ici environ 48 heures. Il n’est pas stressé; il a quatre semaines pour en profiter.

Sérieux, il est fort le Français. Il a une patience d’acier. 1000 km de bouchons sur les routes canadiennes, et il y aurait des morts. Ce serait l’état d’urgence. Le premier ministre serait obligé d’aller survoler la zone en hélico, pour montrer au bulletin du soir qu’il est préoccupé par la situation. Dans une conférence de presse, les ministres des Transports et des Affaires sociales parleraient de distribution alimentaire aux sinistrés. À la radio, il y aurait des messages rappelant au gens de bien s’hydrater.

Le plus drôle dans cette histoire, c’est que tout est prévu d’avance! Rien n’est fortuit. Tout le monde sait que ce sera l’horreur. Il y a même un site web qui annonce les journées vertes, jaunes, rouges et noires. Ils appellent ça « bison futé ». Les habitudes des Français sont si bien connues que les prédictions sont affichées des semaines à l’avance.



Alors tu demandes à des Français : « Pourquoi vous partez tous en même temps? Pourquoi pas deux jours plus tôt, ou plus tard? Pourquoi pas en septembre? Il fait encore chaud en septembre? Et en plus, c’est moins cher. » Et là c’est rigolo. T’as le Français qui ne sait pas trop. Qui hésite, comme s’il n’avait jamais trop réfléchi à ça. Question inédite. Puis viennent ensuite des réponses un peu creuses : « Ouais mais y’a les enfants et la rentrée en septembre. » Comme si la vie d’un enfant pouvait être irrémédiablement perturbée par une absence de deux semaines dans son cursus scolaire du primaire. Quel drame, mon enfant croira toute sa vie que l’alphabet commence par B. T’as aussi la fameuse réponse : « Ben, comme ils louent les terrains de camping à la semaine, c’est difficile de partir deux jours avant. On serait dans la merde pendant deux nuits. » Ce à quoi je réponds : « Allo les businessmen français! Vous ne voyez pas l’opportunité ici? Le marché potentiel? » Des milliers de gens qui seraient heureux de payer un petit peu plus cher pour éviter les bouchons. La formule « 2 jours de plus »? Un beau slogan : « Ne passez pas vos vacances sur l’autoroute : arrivez deux jours plus tôt! »

Y’a pas que pour les vacances que les Français sont synchronisés. C’est un truc quotidien. Dans le RER, à 8h45 le matin, tout est tranquille. Et à 9h15, c’est l’anarchie. À la cantine, dix minutes après 12h00, c’est la guerre. À 18h00, les restos sont vides et les terrasses sont pleines. À 20h00, c’est le contraire. Le samedi vers midi, tout le monde revient du marché. Et le dimanche après midi, tout le monde prend des fleurs pour le dîner chez maman-papa. On pourrait faire des paris. Ça fait trois heures que la boulangerie est vide. Eh bien je te parie cinq euros que dans 15 minutes, il y aura une queue. En fait, les Français sont tellement prévisibles qu’après un moment, l’étranger ne fait plus jamais la queue.

Je reviens sur les départs en vacances, dans le gros de l’été. Pourquoi personne n’offre d’alternative? Et pourquoi personne n’exige une alternative? Après une année ici, je dirais que les Français sont des traditionalistes. Ils vivent quotidiennement avec le poids de traditions centenaires, voire millénaires. C’est difficile à comprendre pour l’Amérique, où tout est nouveau, tout est jetable, tout est modifiable et négociable. Où tout est à penser (pour quelques années encore, un peu). En France, le « parce que c’est comme ça » est très fort. Je crois que le Français aime la tradition. Il la chérit. Il la défend, entre autres, avec ses AOC.

Comme Américain, on sera porté à parler d’un manque de flexibilité. Ça nous apparaît comme un défaut. D’ailleurs, une des pires insultes américaines, c’est de se faire traiter de « réfractaire au changement ». Et pourtant. Avoir un côté un peu traditionaliste présente certains avantages. Ça évite de perdre sont temps en remises en question trop fréquentes. Ça permet de développer une maîtrise très forte dans certains domaines. Ça permet d’avoir des attaches, de se créer une histoire. Une identité nationale. Ça permet d’avoir son propre « label ». Ça permet de savoir qui on est, et d’où on vient.

Une question comme ça : c’est quoi un Canadien? À part le sirop d’érable et le hockey, y’a quoi? Y’a quoi, et surtout, depuis quand? Et comment ça nous modèle?


3 commentaires:

Unknown a dit…

C'est effectivement vrai que nos cousins réagissent de cette façon sans se poser la moindre question. "Et puis bien voilà, c'est comme ça, c'est tout"

La totale ces 4 semaines à se dorés la bedaine tout en admirant les yatchs de riche, sirotant un petit rosé et enrichissant la monarchie.!!! :D

Nous avons nous aussi nos habitudes de martiens "tout en même temps" comme l'état d'uregnece du 1er juillet...

Marie-Julie a dit…

Ils sont fous ces Gaulois!!!!

C'est quoi un Canadien? Peut-être justement quelqu'un qui n'arrive ni à se définir, ni à respecter des traditions...

Aude a dit…
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