vendredi 1 mai 2009

Solidaires?



Y’a des statistiques qui te bouleversent ta vision du monde. Moi, après 10 mois ici, je pensais commencer à comprendre un peu les choses. Mais cet article du New York Times m’oblige à réviser toutes mes conclusions.

C’est un article sur la France et son amour des grèves. Bon, c’est un peu « tiré par les cheveux » comme on dit chez-nous. On y parle de la propension française à manifester publiquement comme d’une sorte de tradition, un trait inscrit dans la culture hexagonale depuis la Révolution. Une sorte de gène collectif du râle. (Gène qui, me semble-t-il, peut temporairement devenir récessif, si je me fie à certains moments de l’Histoire où les Français se sont montrés particulièrement dociles.)

Une phrase de l’article m’a laissé un peu pantois. Elle dit ceci : « Less than 8% of French workers belong to a union — a figured dwarfed by averages elsewhere in Europe and even by America's relatively low 14% level. Worse still, small French unions are bitterly divided among themselves and tend to be dislocated from sector to sector. »

Je traduis: « Moins de 8% des travailleurs français sont membres d’un syndicat, un niveau très bas par rapport aux moyennes européennes, et même par rapport au niveau Américain de 14%, déjà considéré comme faible. Encore pire, les syndicats français sont amèrement divisés et ont tendance à se morceler d’un secteur à l’autre. »

Pause sur donnée : 8%. Presque deux fois moins qu’en Amérique, cette soi-disant grande terre capitaliste perdue au libéralisme économique et la concurrence déréglementée. L’ignoble machine américaine, qui bouffe ses travailleurs sans même en recracher les os, est à 14%.

Si on m’avait demandé d’évaluer le taux d’adhésion à un syndicat en France, j’aurais donné un chiffre quelque part entre 25 et 30%. Avec ces grèves fréquentes qui paralysent de grands secteurs de l’activité économique? Avec ces marches rassemblant des dizaines de milliers de personnes? Avec ces sondages relevant des taux de 60% en faveur des manifestations? Tout ça me semblait preuve d’un militantisme très fort.

J’avoue que je ne comprends plus beaucoup. Je vais devoir explorer les hypothèses. Je vais devoir penser un peu, car pour le moment, tout redevient mystère.

En fait, un seul truc me vient à l’esprit. Et c’est pas super gentil. Pas vraiment flatteur comme image. Une idée qui me vient comme ça, toute bordélique. Un début d’équation, qu’il faudra peut-être écrire jusqu’au bout pour en confirmer ou non la validité. Un postulat un peu chambranlant. Mais bon, j’y vais. Vous me crucifierez plus tard.

Source photo : wikipedia.


J’ai remarqué en France l’importance qu’on accorde à l’élégance. Les vêtements trop chers. Les sommes élevées consacrées à des cosmétiques qu’on accepte de payer à prix d’arnaque. J’ai vu ces épisodes de « Un gars, une fille » où on rappelle beaucoup cette propension à beurrer épais, à glorifier son parcours professionnel, social, ses moyens financiers, quitte à se mettre dans la merde. L’importance attachée au prestige et à la réputation. Le besoin de montrer son rang. Un des mecs les plus riches d’Amérique, Steven Spielberg, se promène en jeans, casquette de baseball sur la tête. J’ai l’impression qu’on ne voit pas souvent ce genre de comportement en France.

Je rencontre souvent d’autres Canadiens attirés à Paris pour des raisons professionnelles. La plupart travaillent dans de grandes boîtes, et certaines observations sont récurrentes dans nos discussions. Notamment, cette intolérance à l’échec qui pousse les gens à embellir les choses dans les réunions. À se donner de l’importance, à bomber le torse pour dissuader les confrontations. À baratiner pour donner l’impression qu’on maîtrise son sujet. Le traumatisme causé lorsqu’on ose relever des problèmes. (Il est important de noter ceci : je ne suis pas en train de dire qu’on cultive la mauvaise foi en milieu de travail. Je crois plutôt assister à un réflexe tout naturel dans un contexte où le travailleur est privé de son droit à l’erreur. J’ai vraiment cette impression que l’erreur est payée très cher dans la France corporative et même académique. Alors mieux vaut ne pas s’afficher en position de faiblesse ou de doute). On dirait que la France professionnelle, absurdement, exige des « experts » et rien d’autre.

Un thème qui revient souvent est celui de la société (entreprise) qui, derrière une façade de solidité bien entretenue par les relations publiques, fait preuve d’une désorganisation et d’un amateurisme désarmant. Le truc à la gestion saveur « petite école militaire » qui distribue les promotions en fonction du prestige d’un diplôme. L’endroit où des postes de direction sont donnés à des gamins de 22 ans bien énervés, qui marchent toujours prestement (même s’ils ne savent pas trop dans quelle direction ils vont). L’endroit où l’expérience arrive troisième, généralement derrière le bagou et la marque du costard.

Toutes ces petites lignes, tous ces petits fils, je les regarde avancer vers une sorte de point. J’appellerais ça : « l’importance de l’apparence ». Ou : « Pas besoin d’avoir le moine, suffit d’avoir l’habit, même si c’est au vu et au su de tous ». Ou : « Je sais que t’es pas ce que tu prétends être, mais tu prétends l’être et ça me suffit. » Enfin… c’est pas clair mon truc. C’est qu’une bouillabaisse de réflexions, un aspic pas encore figé, et probablement indigeste. Un melting pot d’impressions.

Mais bon, seulement 8% de syndiqués dans le pays qui nous paraît comme une des plus socialiste de l’Europe? Solidarité ou « apparence de solidarité »? Je pose la question. Peut-être qu’en France, malgré tout ce qu’on prétend, c’est comme ailleurs. Comme chez les méchants capitalistes.


2 commentaires:

piloucrate a dit…

Bien vu, belle analyse. Toujours aussi plaisant à lire.
La grande maîtrise hexagonale dans le maniement de la banderolle ne fait pas de la France un champion de la solidarité. Les 8% de syndiqués révèlent deux choses: les syndicats comme les partis politiques ne savent pas se mettre à la hauteur des préoccupations des travailleurs français. Certains syndicats font de réels efforts pour aller vers les travailleurs mais les français n'ont aucune culture du bénévolat et de l'engagement collectif. Les conflits sont souvent le fruit de l'absence de lien permanent entre les directions et les travailleurs. Ils ne savent pas communiquer. Quand on arrive dans l'impasse, c'est tout de suite le clash entre les egos.
La France est juste sclérosée, arc-boutée sur ses privilèges. Les travailleurs français marchent à la baguette (ah! ah!) et à la promotion. L'expérience est rarement valorisée. C'est quand ce système de carotte et de bâton se met à chanceller que les français descendent dans la rue. Pour défendre leur steack, leur système, mais pas pour faire avancer un cause commune de manière proactive. C'est une révolte d'esclaves, de gros bébés gâtés qui pleurent pour avoir un plus gros biberon. Si l'on coupe les plus belles plumes d'un paon, il ne lui reste plus que son cri disgracieux pour se distinguer d'un vugaire dindon.

Aude a dit…

Une hypothèse est de dire que les syndicats ne sont plus des acteurs pertinents. Cette hypothèse est entre autre basé sur le taux de syndicalisation. Entre 70 et 90, le taux dans les pays de l'OCDE est passé de 34% à 21%. Toutefois, même s'il y a une diminution du nombre de syndiqués, il y a une augmentation du nombre de personnes bénéficiant des avantages de la convention collective.
Au Québec le taux de syndicalisation est autour de 40% (reste exceptionnel), mais les employés sont obligatoirement intégrés aux syndicats dès l'embauche. Ils sont syndiqués, mais n'adhèrent pas forcément aux valeurs.
Le cas de la France est intéressant car il a le taux de syndicalisation le plus faible, mais affiche une extension très élevée du nombre de personnes bénéficiant de conditions de travail négociées: ces personnes représentent 90% des salariés. Ce paradoxe apparent s'explique par la singularité du modèle français de relations professionnelles, où les organisations syndicales négocient pour l'ensemble des salariés et non pour leurs seuls adhérents. Un employé peut décider ou non d'être syndiqué et de choisir son syndicat. Dans les deux cas, ils bénéficient des avantages.

En espérant que cela t'éclairera...Toujours de très bons textes et d'excellentes analyses.