Vous regardez « Question pour un champion » (le « Tous pour un » des Français) et vous entendez quelque chose comme ceci :
Julien Lepers (l’animateur) : Alors notre premier concurrent, Monsieur Fabien Lavignolle. Bonsoir Monsieur Lavignolle de...?
Fabien Lavignolle : ...de Brières-les-Scellés, dans le 91. Entre le 78 et le 77, juste au nord du 45.
JL : Donc, de l’Essonne.
FL : C’est bien cela.
JL : Ah, y paraît que c’est un très beau coin l’Essonne. On m’a chaudement recommandé d’y passer lors de mes prochaines vacances. Et on les appelle comment les gens de Brières-les-Scellés?
FL : On les appelle les Briolins.
JL : Comme c’est sympathique! Les Briolins.
(Applaudissements)
JL : Bon, attaquons le vif du sujet. Vous êtes prêt Monsieur Lavignolle? Voici votre première question. Je suis un village de l’Illinois, États-Unis, qui comptait 319 âmes lors du recensement de 2000? Ma superficie est de 1,2 kilomètre carré? Je suis un bled anonyme dont les seuls signes distinctifs sont un rail de chemin de fer tout droit et quelques silos dans la plaine? Monsieur Lavignolle, votre réponse?
FL : Je dirais... euh... Woodland.
JL : BRAVO! C’est la bonne réponse! Étonnant, on peut dire vous commencez en lion Monsieur Lavignolle. Elle n’était pas facile, celle là.
Vous êtes bien calé dans votre fauteuil et vous vous dites que ce mec est un génie. Il y a probablement la moitié des habitants de Woodland Illinois qui ne savent même pas qu’ils habitent à Woodland Illinois. Et là, sous vos yeux ébahis, un Briolin vous nomme l’endroit sans hésitation, comme s’il s’agissait d’expliquer la recette de l’eau bouillante. Ce petit Lavignolle, 62 kilos, moustache, pull un peu caca d’oie, y’a de bonnes chances pour que ce soit votre facteur.
Source photo : wikipedia.
Le facteur français est un génie. Une sorte de Sherlock Holmes sur stéroïde génétiquement muni d’un GPS. Pourquoi je dis ça? Tout simplement parce que le courrier français est livré à bon port. Ben quoi, c’est le travail des facteurs de livrer le courrier, non? Certainement. Mais il faut connaître le système d’adressage français pour mesurer l’ampleur du talent des facteurs de l’Hexagone.
Je m’explique. Voici un exemple d’adresse parisienne :
Monsieur Pierre de Laparticule
64 avenue Philippe-Auguste
75011, Paris
C’est tout. Le code postal, c’est 75011. Ça désigne le 11e arrondissement (011) de la ville de Paris (département 75). La partie 75, Paris city, compte 2,1 millions d’habitants. Ça fait beaucoup de portes. Heureusement, le 011 restreint un peu les recherches. Dans le 11e arrondissement, il y avait 150 000 habitants en 2006.
Un seul code postal pour 150 000 habitants. Je suis persuadé que la Rome antique avait un meilleur système d’adressage postal. Le facteur canadien peut se rabattre sur un système de codes postaux un peu plus étoffé. Prenons un exemple : « H2L 3K5 ». Allez dans Google Maps et tapez : « H2L 3K5, canada » (lien ici pour les paresseux). Le logiciel vous affichera un plan très rapproché, avec une petite flèche qui pointe sur la rue Amherst, entre Gauchetière et Viger Est, à Montréal. Un code postal canadien, ça désigne une zone d’environ 10 portes dans un secteur très précis.
Maintenant, saisissez « 75011, Paris » dans Google Maps (lien ici pour les paresseux). Et mesurez l’ampleur du défi qui attend un facteur français. Une zone de 4 kilomètres carrés. Et chacun de ces km2 compte en moyenne 40 000 habitants. Elle va dans quelle boîte, la lettre?
Un autre détail ultra-important d’une adresse française est un petit truc subtil qu’on a tendance à négliger au Canada. Notez dans l’exemple ci-haut le mot « avenue ». Très-très-très important en France. Au Canada, nous avons la chance de combiner l’anglais, le français, ainsi qu’une soixantaine de langues autochtones. Le potentiel toponymique est pour ainsi dire quasi illimité. Rue Hochelaga. Boulevard René-Lévesque. Avenue Sherbrooke. Mais en France, il semble qu’il y ait une pénurie de personnages historiques. Je ne sais pas trop pourquoi, mais on dirait que l’histoire française compte peu de grands hommes. Alors on est obligé de se répéter un peu. Avenue Charles-de-Gaulle. Rue Charles-de-Gaulle. Boulevard Charles-de-Gaulle. Place Charles-de-Gaulle. Cité Charles-de-Gaulle. Impasse Charles-de-Gaulle. En plus, les Français ont une tendance qui relève du sadisme, soit celle de donner un même nom à des voies connexes. Par exemple, le boulevard et l’avenue Charles-de-Gaulle pourraient donner sur la place du même nom. De quoi devenir fou.
Ça, c’est le quotidien du facteur français. Le type qui passe SIX jours par semaine (distribution de courrier le samedi). Les gens râlent contre les fonctionnaires. « Travaillent pas assez. » Je sais pas trop. Mais pour ce qui est du facteur, je lui lève mon chapeau. Et il risque de me saluer par mon prénom. Si vous cherchez quelqu’un en France, demandez à un facteur...
Et svp, faites une fleur à votre facteur : écrivez lisiblement.
2 commentaires:
Un jour mon père s'était amusé à décrire l'endroit où habitait des amis, plutôt que de donner l'adresse, sur une lettre qu'il leur envoyait (du genre : la maison du bas de la rue, en face du bar et de la boulangerie, a coté de l'église). La lettre est arrivé ... sans aucun retard.
Pour avoir travaillé un temps au centre de tri de La Poste je dirais que le facteur français est surtout très persévérant. Si il y a la moindre erreur dans l'adresse on cherche manuellement dans un bottin a qui peut bien être destiné la lettre (sauf pour le père Noel).
Bonjour Paul,
J'ai découvert ton blog il n'y a pas très longtemps, d'où mon commentaire sur un vieux billet ;-)
Je suis une Française au Canada depuis 2 ans et demi et je rigole bien en te lisant.
Ce billet m'a fait pensé à un billet récent du blog d'un Français à Vancouver que je lis aussi régulièrement : http://vancouver.chabant.com/2011/05/le-jeu-des-differences-pas-importantes-les-rues-et-les-avenues/
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