Il est 14h00. Je longe les étals de brocante du premier dimanche du mois, sur le boulevard Voltaire. C’est joli, il y a quelques beaux trucs pour le décor iconoclaste que je souhaite un jour m’offrir. Afin de profiter de l’éclaircie, j’ai choisi la marche au lieu du métro. Le périple prévoit une traversée du Marais, en direction de la FNAC des Halles. J’ai besoin de guides en vue d’une expédition dans le Midi.
Il pleut ou fait gris depuis je ne sais plus quand. Deux semaines? Je suis sorti du lit à midi trente, à cause d’une grippe interminable ramenée d’Espagne, et d’une otite. Cette fois, c’est l’oreille gauche. Mes découvertes en Europe dépassent la gastronomie : je sonde aussi l’univers du viral. J’ai l’impression d’avoir la tête dans l’eau. Même s’il fait au moins dix, j’ai mis mon foulard et mes mitaines.
Source photo : wikipedia.
Un détour par la rue de Bretagne, où je cherche un complément à mon petit-déjeuner. J’ai dévoré plus tôt un somptueux croissant choco-amande, mais j’ai encore faim. La rue de Bretagne est un repaire de gourmandises, avec ses boutiques de cuisine internationale, bouchers et fromagers de bonne qualité. Chez un italien, un panini me fait de l’œil. Mais la gérante est partie et la caisse est fermée pour dix ou quinze minutes, de m’expliquer un cuisinier en qui ladite gérante n’a visiblement pas confiance. Meilleure chance la prochaine fois. I’ll take my money elsewhere.
Dans une rue latérale, après un bureau du parti socialiste couvert de posters d’Obama, je tombe sur un marché. Un petit truc, quelques allées dans une cour intérieure. C’est chaleureux. Commerces un peu bobos, clientèle gauchiste. Une odeur de vanille attire mon attention. Derrière un comptoir, sous un ghetto-blaster qui joue les Beatles, un cinquantenaire barbu et mal habillé offre des crêpes. Sucre, confiture, Nutella, sirop d’érable. Sirop d’érable! Why not?
Je veux m’assurer qu’il s’agit de vrai sirop d’érable. J’explique au bonhomme ce que signifie « sirop de poteau ». Il me montre la bouteille et insiste sur le caractère bio du produit. Pendant que ma crêpe cuit, le vieux hippie se dandine exagérément en fredonnant « Lady Madonna ». Il beurre épais. On dirait qu’il revendique quelque chose. Je ne sais pas quoi. « Ici c’est encore mai 68 », ou un truc du genre. Il est comique. Sympathique, mais aussi un peu énervant.
Il me tend ma crêpe : « Tou-fiffty pliize.
-Pardon?
-Tou-fiffty, pliiizeu. »
Je lui souris : « On peut quand même parler Français, non? » Il me répond qu’ici on ne parle plus Français, que les Français sont tous des cons car ils ont voté Sarkozy. Je lui indique mon manque d’intérêt par un « ah bon, si vous le dites » bien monocorde, à la frontière du bâillement.
Alors que je m’en vais, pour faire copain, le vieux me lance un « Vive le Québec… » Il hésite, au même endroit que le Général. Mais si le Général a fait une pause pour choisir le bon mot, lui cherche seulement à se souvenir du mot en question. Trop de mari pendant trop longtemps. Il finit par trouver : « Vive le Québec libre! » J’ai envie de me retourner et de lui demander : « Libre de quoi au juste? » Libre d’arrêter de s’humilier en quêtant à genoux l’appui politique du gouvernement français? Libre de ne plus tomber dans le psychodrame parce que l’Élysée se rapproche d’Ottawa dans une manœuvre stratégique en période de crise financière? Libre d’enfin passer à autre chose, d’en finir une fois pour toute avec cette ostie de question stérile qui polarise tout le débat politique unifolié? Je lui envoie la main et je continue mon chemin.
La crêpe est bonne, mais j’aurais aimé un peu plus de sirop d’érable. Au bout des petites rues, le Centre Georges-Pompidou à l’air d’un pile de vieux vinyles sur laquelle on aurait posé des pieuvres, pour les faire sécher. Je pense aux tabernas du port de Naxos. Il y faisait presque aussi froid qu’aujourd’hui à Paris. J’ai envie d’un gros café bien chaud. Il doit bien y avoir un Starbucks dans le coin. Les rues à proximité des Halles sont bondées. Après un moment j’entrevois le fameux logo vert et sa sirène. Je me fraie un chemin pour finalement tomber sur une file d’attente. Un Starbucks avec une file d’attente jusque dans la rue. Only in France…
À la FNAC, je trouve mes guides et je fais la file pendant vingt-cinq minutes à la caisse. Les dames paient avec des chèques. La procédure implique de passer le chèque environ dix-sept fois dans une sorte de petite imprimante. Puis, on note au dos le numéro de la carte d’identité de la cliente. Ensuite, celle-ci inscrit je ne sais trop quoi et finit par signer. Minimum quatre minutes par cliente. Dans le pays qui a inventé la carte à puce.
Retour par la rue de la Verrerie, où je me cherche une bonne bouteille. À défaut de café, ce sera du scotch. L’ambiance est agréable, les boutiques sont colorées et les parisiens préparent leur samedi soir. Je finis par me trouver un beau Laphroaig qui, si je me souviens bien, à un arôme prononcé de tourbe avec de jolies notes de cuir. Parfait pour soigner ma grippe.
Pour éviter la foule sur Rivoli, je prends une rue parallèle. Et par pur hasard, je tombe sur « Thanksgiving », une petite épicerie à l’américaine. Ils ont tout : du Dr Pepper, des crêpes Aunt Jemima, du beurre de pinottes, des Oh Henry et du Kraft Dinner. Paris a mille manières de se faire aimer.
3 commentaires:
Dis Etre Loin,
Il serait également intéressant que tu livres tes impressions sur le Québec, avec le recul que t'offre cette mise à distance.
Tes petites brèves de conteur sur Paris et les Parisiens sont sympathiques.
Tu risques toutefois de tomber rapidement dans le répétitif et l'ennui, même si Paris offre un réservoir d'intérêts illimité pour qui veut bien s'en imprégner et se défaire de ses préjugés.
Bonne découverte de Paris, des Parisiens, du Québec et de toi-même.
Très bonne continuation également.
Une grippe ou plutôt un gros rhume ? On a tous tendance à mélanger ces deux infections mais une grippe, une vraie, ça vous cloue au lit avec 40° de fièvre, des maux de tête et des courbatures à n'en plus finir! Mais bien soignée, quand c'est fini, c'est bien fini!
Alors qu'un rhume on peut le traîner des semaines entières en se sentant toujours vaseux.
Le vieil hippie? Il me fait bien sourire! Que fait-il encore en France si cette nation lui sort par les narines? La terre est immense! Faut savoir accepter le verdict des urnes ou alors aller poser ses pénates dans des cieux plus conformes à son idéologie politique, à preuve du contraire on a encore cette liberté-là en France.
Mais un p'tit Laphroaig pour finir la journée, y'a pire quand même! Une amie, qui a de bonnes bases en Ecosse, me l'a fait découvrir y'a quelques années et ma foi, oui, y'a pire!
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