dimanche 30 novembre 2008

Le mur qui craque



Probablement que c’est comme ça pour tout expatrié : une sorte d’alternance entre des moments d’euphorie de des moments de profonde déprime. En tout cas, c’est un état mental pour lequel, s’il survenait au Canada, je consulterais.

Quelle belle journée passée samedi. Je me suis promené dans Paris. J’ai dû marcher 20 kilomètres. Départ à Châtelet et visite du deuxième arrondissement. J’ai trouvé le coin des manufactures de vêtements, avec articles soldés si on cherche bien. Vers le nord jusqu'à La Chapelle, pour dîner dans un petit resto indien qui m’avait fait de l’œil lors de mon dernier passage.

Dans l’après-midi, j’ai arpenté le 16e arrondissement, repaire d’ambassades, de consulats, de Mercedes et de vraies boutiques Louis Vuitton (celle des Champs-Élysées étant pour les touristes). Je me crisse un peu Louis Vuitton, mais j’étais curieux de voir cette partie de la planète qui ne vit pas sur le même budget que moi. Y’a des gens très riches à Paris. Assez riches pour dire candidement, de bonne foi et sans aucun cynisme : « qu’ils mangent du gâteau ».

Retour vers chez moi à la tombée de la nuit, via les Champs-Élysées, pour voir les éclairages de noël quasi hystériques et la grande roue toute allumée de blanc. Un petit vin chaud en chemin, pour essayer. Aussi ignoble que le eggnog, le vin chaud à l’avantage d’être très chaud, ce qui, combiné à l’excès de cannelle, arrive presque à masquer le goût de piquette vinaigrée. Mais bon, l’ambiance était belle, et j’étais content d’avoir goûté.

Je ne suis pas assez riche pour vivre dans le 16e, mais je peux me permettre un beau plat d’huîtres quand j’en ai envie. Alors je me suis mis à chercher la traditionnelle brasserie tape-à-l’œil en chemin. Bienfaisante Providence, j’essaie une nouvelle rue, et je tombe sur un ti-vieux qui ouvre des huîtres devant un petit bistrot sans prétention. Un zinc et 25 places assises. J’arrive au bon moment : il reste une table. Je m’enfile un festin de 12 huîtres, une assiette de crevettes et une assiette de bulots, le tout arrosé d’un beau Muscadet. Je vous entends dire : « Le porc! Le goinfre! ». Premièrement, ce ne sont pas des portions américaines. Deuxièmement, ils ne te mettent pas un paquet de cochonneries comme du riz, des patates rissolées, ou de la salade iceberg. C’est que les fruits de mer, zéro légume, zéro sauce. Straight. Comme je le souhaitais. J’aurais trouvé un dix piasses sur le trottoir et j’aurais pas été plus heureux. En fait, oui j’aurais pu être plus heureux, mais il aurait fallu un(e) ami(e) de Montréal à table avec moi.

À Paris, rien n’est gratuit. C’est pas pour rien que les Français ont fini par se laïciser. Quand t’as trop de fun, on dirait que la Providence (que d’autres appelleront Dieu) t’attend au coin de la rue avec un seau d’eau frette. Quand t’as profité, faut payer. Parfois, me semble que c’est cher.

Source photo : wikipedia.


Aujourd’hui, c’est dimanche et il pleut. Dans le salon je fixe mon mur, perdu dans mes pensées. En juillet, mon voisin d’en haut a eu un dégât d’eau, ce qui a salopé quelques trucs chez moi. Quand t’es locataire en France, t’es tenu d’avoir une assurance couvrant tout dommage qui surviendrait pendant que tu occupes les lieux. C’est pas comme au Québec. C’est le locataire qui assume, pas le proprio. Alors mon petit dossier d’assurance suit son cours depuis maintenant cinq mois.

Il y a quelques semaines, mon assureur a refusé une première évaluation des travaux de réparation. Elle n’était pas assez détaillée. Il y a deux jours, une deuxième évaluation a été refusée. Trop cher pour ce type travaux. Pourtant, rien dans mon contrat (que je viens de relire au complet) ne précise un plafond pour les frais éligibles.

J’ai enfin eu mon titre de séjour il y a quelques jours. Mon histoire de travaux est (était) la dernière bébelle administrative dans ma todo-list des tracas post-atterrissage. Je m’apprêtais à bientôt célébrer la fin de mes chemins de croix. Mais soudainement, je sens que je m’enfonce dans une nouvelle affaire, avec un assureur pas nécessairement coopératif.

Alors je suis dans mon salon et je fixe le mur. Je fixe un mur dont la peinture, sans raison apparente, vient de commencer à s’écailler. Je me suis levé ce matin, et la peinture était craquée. En dessous, aucun signe d’humidité. Pas de tuyau qui passe par là. Le plâtre laisse une belle trace poussiéreuse sur les doigts. L’entrepreneur qui a rénové mon appart est probablement allé un petit peu trop vite. Il a fait sa peinture sur du plâtre pas complètement sec, et là ça vient de céder. Un autre dossier d’assurance?

Y’a aussi mon service internet-télé-téléphone qui a cédé. Depuis samedi matin, mon modem ne répond plus. Au début, je ne me suis pas inquiété. Panne occasionnelle d’une compagnie broche à foin. Mais là, ça fait deux jours. Au téléphone, à 50 cennes la minutes (parce que c’est comme ça en France), le préposé m’a fait faire toutes les petites étapes du livret d’instructions, même si je les avais déjà toutes faites avant de l’appeler. Après, il m’a invité à aller essayer mon modem chez un ami pour voir si il fonctionne. Dans toute l’histoire des suggestions épaisses que m’ont faites des services à la clientèle déficients, celle-ci remporte la palme. Ensuite, il a voulu m’envoyer un technicien : « C’est gratuit, sauf si le technicien détermine que la panne est de votre faute ». C’est ça épais, je la connais la recette. Ton hostie de technicien va venir chez moi avec un branche de sourcier, il va faire la danse du feu pendant deux minutes, et après il va rendre son jugement : tout est de ma faute. « Vous voyez Monsieur Brisson le fil qui était bien branché et que j’ai débranché? Bien je l’ai rebranché au même endroit, et maintenant ça fonctionne. Ce qui prouve que c’est votre faute, car vous n’avez pas la touche magique ».

Un ami qui est ici depuis quelques années (et chez qui j’aurais pu aller tester mon modem si j’étais vraiment un gros cave) m’a déjà dit que rien n’est jamais vraiment fini en France : « Quand tu penses arriver au bout de tes peines, c’est parce que t’as mal regardé l’horizon ».

Pendant que j’écris ma déprime sur mon portable, mon modem vient de se remettre à fonctionner tout seul. Comme un chat perdu qui à la maison après trois jours d’absence, et qui, l’air de rien, va direct vers son bol de croquettes. Je devrais être content. Pourtant, je reste angoissé. Au dessus de l’écran, mon horizon : un mur qui craque.


P.S. : pour beurrer épais sur mon cafard, pendant que je faisais ma commande, la radio-nostalgie diffusée au supermarché a joué « Je reviendrai à Montréal » de Charlebois, suivi de « Mon frère » de Maxime LeFoxTerrier. Cette dernière chanson est poche, mais elle me rappelle un beau périple en gang sur la 20 entre Kamouraska et la métropole.

8 commentaires:

noèse cogite a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
helianthine a dit…

Pour Paul le quebecquois de la part d'Hélène la française. Je t'envoie mille pensées positives pour contrebalancer tant de négativisme. J'ai vécu en expat un an à Rochester USA et bon Dieu comme la France m'a manqué! Alors je comprends. Il ne faut pas hésiter à déléguer à un français les coups de fil aux entreprises et assurances, un français saura raler comme un français pour faire avancer les choses (sourire). Je reviens d'un we à Paris. c'est vrai qu'il y a comme un air de déprime dans la capitale en ce moment. Tu devrais venir boire un ptit coup de mercurey en bourgogne, cela ne te remettrait pas les idées en place mais tu verrais sans doute ton mur autrement (penché peut-être...Sourire)

The Courval a dit…

Hahaha! Trop drôle! Je crois que je vais arrêter de me plaindre quand j'attends trois heures pour parler à un préposé de Revenu Canada... Heureusement qu'il charge pas 50 cennes la minutes!

sylviane a dit…

"J'veux du soleil,
et devenir Monte-Cristo
Au clair de lune
M'échapper de la citadelle"
Paroles et musique "Au P'tit bonheur".
Lâches pas la patate Paolo!
c'est qu'un petit bout de déprime passagé et bien compréhensible.

Plein de bonnes et belles choses pour les jours qui s'en viennent.

Josée du Yukon a dit…

Je crois que tous les expatriés ont le mal du pays à un moment où l'autre. J'ai vécu à Vancouver un an et je rêvais la nuit que je revenais à Montréal en sautant dans mon auto!

Unknown a dit…

Salut Paul,

Je te connais pas, mais je lis ton blogue depuis le début... Je suis une québécoise qui vit à Paris depuis un an maintenant. Je voulais juste te dire que je comprend totalement quand tu parle des beautés de Paris, autant que des dimanches gris et des démarches administratives infinies...
Après un an, les dimanches sont un peu moins gris, Paris est encore jolie et l'administration... Mais bref y'a les fromages et les pâtisseries pour oublier l'administration!

mo a dit…

Bonne fête tonton popol.

De Cloée et Éric

Anonyme a dit…

Je fais du rattrapage... J'imagine que le brouillard s'est dissipé depuis. Être expat', c'est aller constamment dans ses extrêmes. Comme les montagnes russes. Faut s'accrocher et profiter de la balade même si on a la frousse ou qu'on ne trouve pas ça si excitant, finalement, en espérant que le train ne déraille pas.
P.S.: Moi aussi j'ai beaucoup marché à Taipei. Beaucoup, beaucoup, beaucoup...