lundi 25 avril 2011

Je suis Alain Delon

Être Canadien à Paris, c'est un peu comme être Alain Delon : il ne se passe pas une journée sans que je sois reconnu. Peu importe où je vais, c'est : "Ah ! mais vous êtes Canadien ! J'aime tellement votre accent ! C'est trop mignon ! Céline Dion ! Tabernacle !"
 
Impossible d'avoir une vie normale. Je ne suis pas nécessairement une vedette. Je me décrirais plutôt comme l'incarnation d'un archétype. Or, comme les vedettes, les archétypes appartiennent au domaine public. Je suis le Canadien sympa, lourdaud mais mignon, affable et cordial, avec son accent tellement rigolo.


 
On ne s'en douterait pas, mais c'est une tare aussi lourde que la célébrité. Car je suis forcé de jouer le rôle. Je suis perpétuellement en représentation. Quand j'en suis à mon huitième ah-mais-vous-êtes-Canadien de la soirée, j'en ai toujours un peu marre. Mais je ne peux pas répondre : "Tu sais ce qu'il fait mon accent ? Il te pisse à la raie, mon accent !"
 
Car le Français devant moi ne sait pas que j'ai déjà répété sept fois les mêmes banalités. Il est de bonne foi. Il est véritablement enthousiaste. Je suis sa curiosité humaine du jour. Comme Alain Delon. Alors je joue mon rôle : je souris, je parle de Céline, et je force l'accent. Je lui en donne pour son argent.
 
Je ne m'en plains pas, au contraire. Les Canadiens, en France, jouissent d'un magnifique biais positif. Disons que les Français sont beaucoup plus sympas avec nous qu'avec les Rosbifs. Même que j'en abuse un peu, parfois. Par exemple, au dernier Salon de l'Agriculture, ce biais positif m'a permis d'obtenir un très bon prix sur une belle sélection de saucissons corses. Si j'avais été Français, on n'aurait tout fait pour m'arnaquer. Et je suis à peu près le seul client à qui ma boulangère ne fait pas la gueule.
 
Y'a juste un petit truc : le mot "tabernacle". On a tendance à croire que cette interjection est plutôt inoffensive, voire cordiale. Mais sur l'échelle de Richter de la sémantique, ce juron est environ à la même hauteur que "je nique ta putain d'race". Toute ignorance mérite d'être pardonnée. Mais faudrait pas m'en vouloir si vous notez une certaine crispation dans mon sourire de gentil Canadien.

6 commentaires:

Olivier a dit…

Je valide ta remarque sur le «tabernacle» et je suis obligé de faire le parallèle avec le «putain d'enculé de merde» (ou autre variante «typique») dont mes joyeux collègues québécois me gratifiaient à voix haute dans le bureau. Quand tu le re-situes dans le contexte parisien où tu ne murmure pas ça sans te faire arracher la tête, ça fait bizarre.

sylviane a dit…

Mon amie Manon, qui vit depuis 15 ans en France et qui n'a quasiment plus d'accent, aime bien quand on l'interpelle au détour d'une conversation sur ses origines québécoises, comme elle dit "ça me rassure, j'ai pas tout perdu", comme quoi...

Véronique Lebel a dit…

Je jouis du même biais positif chez mes collègues français à Shanghai. Comme quoi le Français même expatrié ne change pas.

Anonyme a dit…

Au fait, Alain Delon parle de lui a la troisième personne.

Par écrit c'est pas drole mais dans une entrevue ça l'est. lol

Mon nom est Paul a dit…

@Tout le monde : Je suis certain que l'Espagnol en Chine vit des choses similaires. Ça serait rigolo de compiler un florilège de malentendus et usurpations culturelles.

Unknown a dit…

J'adore ce billet! J'ai l'impression de vivre la même chose.

J'ai beau répéter que 'tabernacle', ça me fait mal aux oreilles de l'entendre au bureau, ils continuent :-) Et me font remarquer que je ne le dis jamais! Ah bon?

Quand je me fais le résumé de tout ça, je me dis qu'on a quand même de la chance de bénéficier d'un préjugé positif... ça peut être pesant mais c'est mieux qu'un cliché négatif!

Et maintenant, mes collègues connaissent les Cowboys Fringants et Fred Pellerin! :-)