La Révolte des Patriotes (1837) est dépeinte comme une grande tragédie québécoise par les souverainistes. À chaque année, une cérémonie se tient à la prison du Pied-du-Courant, à Montréal, lieu de pendaison des principaux acteurs de la révolte. S’y regroupent habituellement une poignée d’étudiants rebelles, et quelques vieux maîtres à penser nationalistes. On scande « Vive le Québec libre » et « Mort au Anglais ».
Séparés des acteurs originaux par presque six générations, ces gens me font penser aux vieux cons d’orangistes, qui sous le prétexte de commémorer une bataille de 1690, attisent encore le brasier des haines en Irlande du Nord.
Retour rapide sur les faits. Le Canada, à l’époque, est dirigé par un gouverneur nommé par Londres. Malgré l’existence d’une assemblée législative constituée par le peuple, le gouverneur garde la mainmise sur la colonie en matière décisionnelle. Le peuple revendique plus de pouvoir, ce qui lui est constamment refusé. Cette situation larvée évolue en conflit armé. En 1937, divers foyers de révolte éclatent. Ils sont tous matés par les forces britanniques.
Aujourd’hui, on joue souvent ce conflit comme grande tragédie de la nation québécoise, comme un acte de tyrannie barbare contre l’Amérique française. Ce qu’on dit moins, c’est que la province du Haut-Canada (Ontario), peuplée d’anglophones, a elle aussi connu des soulèvements à la même période. Le gouverneur britannique avait ceci de juste qu’il faisait chier également tous les Canadiens. On utilise aussi l’image des patriotes dans le cadre de revendications sécessionnistes (la souveraineté du Québec), alors que les combattants de l’époque ne revendiquaient pas la sécession.
Ces échauffourées, qu’on a vite qualifiées de « révoltes », n’ont jamais réuni plus de 1000 combattants. Les sources sont peu nombreuses, mais la plus grosse donnée que j’ai pu trouver parle d’un total d’environ 300 morts pour l’ensemble des combats. À l’issue du conflit, 12 leaders ont été pendus, et 58 acteurs principaux ont été déportés (approche couramment utilisée par l’Angleterre pour se débarrasser de ses fauteurs de trouble).
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(source)
Y’a pas à dire, la Révolte des Patriotes, c’est vraiment un gros truc; un choc inédit dans la grande histoire de l’impérialisme et de la gestion d’une colonie. ..
Pour bien souligner l’évidente ironie de la phrase ci-dessus, amusons-nous un peu avec diverses données historiques.
La Commune de Paris, vous connaissez? Cherchez un peu dans Google. La France qui s’en prend à ses propres citoyens, sur son propre territoire. On parle de 20 000 morts. Certains avancent jusqu’à 100 000. Exécutions sommaires. Quand le calme revient, les procès font 10 137 condamnations, dont 93 à mort, 251 aux travaux forcés, et 4586 à la déportation.
Les Canuts, maintenant. « C’est qui ça, les Canuts? », me direz-vous. Des tisserands de Lyon, qui vivent et travaillent dans la misère. En 1834, leur deuxième grande insurrection est matée dans le sang. 600 Canuts sont tués. 10 000 insurgés sont faits prisonniers. Wikipédia rapporte qu’ils seront jugés dans un « procès monstre » à Paris en avril 1835, et seront condamnés à la déportation ou à de lourdes peines de prison.
Allez voir les Rébellions de 1857 en Inde. Au moins 100 000 morts (aux mains du bon vieil empire britannique). Allez voir la feuille de route des Irlandais contre Londres. Et pourquoi pas la mutinerie des soldats français, pendant la guerre de 14-18, et pour laquelle 2 878 hommes ont été condamnés, dont 629 au peloton d’exécution. Saviez-vous aussi que la Guerre civile finlandaise (ben oui, finlandaise) a fait 10 000 morts. Tiens, si vous voulez le « jackpot », suivez ce lien. Vous y apprendrez entre autres que la Révolte des Touaregs (Lybie, 1916) a eu à peu près la même ampleur que celle des Patriotes. La révolte des Touaregs… for God’s sake!
Tous ces révoltés sont des gens qui se sentaient exploités. Des gens qui revendiquaient plus d’autonomie pour leur nation. Des gens qui en ont eu marre à un certain moment, et qui ont décidé de tenter leur chance, l’arme au poing. C’est un moyen comme un autre. La plupart d’entre eux ont été écrasés comme des moustiques. Ils ont souffert dans leur chair. Mais je mettrais 25 dollars (16 euros) sur la table que la majorité de ces populations, aujourd’hui, ont réussi à passer à autre chose.
Ça serait vraiment bien qu’on fasse pareil au Québec, au lieu de toujours rejouer le disque de notre « grande tragédie ». Notre grande tragédie, qui finalement n’est pas si extraordinaire. Elle perd beaucoup de son unicité, quand on ose la comparer, en tenant compte du contexte et de l’époque.