Un jour, j’ai dit à un collègue français qu’à Paris, l’insolence est valorisée. Comme c’est le propre du Français de débattre, et donc de contredire, il n’était pas d’accord. Selon lui, le Parisien est souvent impoli, mais pas insolent. Déclaration qui fut suivie d’une longue discussion sur la valeur sémantique du mot « insolence », discussion dont je vous ferai grâce.
C’est Jean Piaget, un Français, et pionnier de la sémantique, qui a le premier exposé la notion de nuage sémantique associé à un mot. En gros, le même mot trouve en chaque personne une signification différente. Le sens d’un mot, chez un individu, serait la somme de toutes ses expériences avec ce mot. Ainsi, le mot « chien » évoque chez l’allergique une réaction qui diffère de celle du vétérinaire. Dans le même ordre d’idée, le moine et la pute percevront différemment le mot « sexe ». (Notez ici un moyen détourné de hausser la fréquentation de ce blog.)
D’où je viens, il est considéré impoli de couper la parole à son interlocuteur. La première fois, c’est juste impoli. Mais le faire constamment, ça devient de l’insolence. C’est un peu comme dire : « Vos idées ne valent pas la peine d’être entendues. » À Paris, c’est très différent. Personne ne se formalise des perpétuelles interruptions. Les discussions sont faites de bouts de phrases hachurées. À chaque 30 secondes, il y a bataille pour le droit de parole. Un peu comme des joueurs de basket qui driblent pour garder le ballon. À Montréal, la joute ressemble un peu plus à un tir de barrage : t’as droit à ton lancer, ensuite j’ai droit au mien. Je ne peux pas blâmer les Parisiens pour ce trait culturel. Ils ne sont pas les seuls à faire comme ça. Oscar Wilde, un Anglais, disait qu’il est irrespectueux d’écouter quelqu’un sans l’interrompre.
Un autre classique parisien, c’est l’histoire du mec qui dépasse toute la queue, en jouant un peu l’urgence. Sur la pointe des pieds, l’index en l’air, il essaie d’attirer l’attention du commis. Tout son corps essaie de dire : « Je sais que je passe devant tout le monde, mais ma situation est vraiment exceptionnelle. Mais vraiment. » Ce qui me frustre le plus, c’est que ça fonctionne. Je n’ai jamais entendu un seul commis dire : « Écoutez monsieur, tous ces gens qui attendent depuis 40 minutes vivent aussi des situations exceptionnelles. Alors faites comme eux et attendez votre tour. »
Source photo : wikipedia.
Pour un Montréalais, on dirait qu’à Paris, l’échelle qui va d’impoli à outrageux est légèrement décalée. « L’impoli » parisien équivaut à « l’insolent » montréalais. « L’insolent » parisien équivaut à « l’outrageux » montréalais. Et « l’outrageux » parisien, s’il survient à Montréal, aboutit généralement à une condamnation à perpétuité pour homicide volontaire.
Il est donc primordial, lorsqu’on visite Paris, de tenir compte de ce décalage sémantique. C’est différent du Canada. Les mots n’ont pas le même poids. Lorsqu’un Parisien t’engueule sans retenue, il n’est pas socialement acceptable, comme ça l’est à Montréal, de le frapper au visage jusqu’à ce qu’il saigne abondamment. Ici, l’engueulade n’annonce pas le début du premier round. Elle indique seulement l’amorce d’une négociation qui devrait, en principe, déboucher sur un compromis satisfaisant et l’échange d’une poignée de main. Quoique que les bastons, au Québec, finissent souvent par une accolade s’ils ont été précédés d’une consommation suffisante d’alcool.
Ce décalage de l’échelle nous aide aussi à comprendre pourquoi le concept de « politesse » n’est pas compris par le Parisien moyen. Il ne faut donc pas s’étonner, lorsque vous cédez votre siège de métro à une dame, qu’elle vous jette un regard rempli de doute, avec l’air de se dire : « Mais qu’est-ce qu’il a celui-là? Pourquoi il me cède sa place? Il s’est fait pipi dessus ou quoi ? »
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P.S. : Récemment, je parlais de me lancer dans une grande analyse de la France. Un truc un peu plus objectif que mes écrits habituels. Plus journalistique. J’ai fait une liste de sujets. Il y en avait une trentaine. Des sujets sérieux.
En fait, je voulais faire le tour une fois pour toutes, et ensuite passer à autre chose. Mais je n’y arrive pas. Je n’en ai pas envie. Je suis fatigué de parler des « Français » et de la « France ». De poser des observations, de tirer des conclusions. Alors je passe directement à autre chose. Je change d’approche (au risque de perdre mes lecteurs français, qui adorent entendre parler d’eux-mêmes, selon ce qu’on dit). Si vous souhaitez continuer sur le thème du « Français », venez vous-mêmes vous faire une opinion, ou lisez « A Year in the Merde » de Stephen Clarke.
Vous venez d’assister à une autre étape de ma vie d’expatrié.
1 commentaire:
Dommage... «A year in merde» n'était pas particulièrement réussi, à mon avis. Du gros fa-facile...
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