samedi 18 juillet 2009
Pourquoi les jambes?
Je parle encore de la femme. De son traitement dans l’espace médiatique. Je suis peut-être un peu redondant. Mais bon, c’est quand même un sujet assez vaste. Et je souhaite aller au bout de certaines observations. Et de toutes manières, la femme fait partie des sujets vers lesquels on revient toujours. La bouffe, la météo, les voyages, le plaisir, la femme. Selon moi, ces cinq thèmes suffisent à constituer une instance du bonheur.
Donc, les Galeries Lafayette remettent ça cet été avec leur pub de bikini. Elle est partout dans le métro. J’avais parlé de cette pub l’an dernier. Je disais qu’elle me sciait les genoux. Je perdais mes moyens. Que j’avais dû manquer au moins cinq trains à cause de cette pub. Ça va mieux cette année. Je m’y suis habitué. Voici la pub en question, pour ceux et celles qui ne savent pas de quoi je parle :
Avouez que la madame est sexy. Toute huilée, bien bronzée, petit sourire coquin. La culotte du bikini au bout du pied. Le soutien-gorge défait, presque retiré. C’est audacieux. C’est joyeusement cochon. Peu importe ses principes, le mec moyennement hétéro ne peut rester de glace devant un tel spectacle.
Mais la pub, ça vit dans l’instant. Ça doit plaire immédiatement. C’est conçu pour frapper l’esprit avant qu’il puisse analyser, réfléchir. En fait, la pub supporte très mal l’analyse. La pub ne survit pas au long terme. Elle prend au dépourvu et donne tout pour convaincre. Mais si on résiste à ce premier assaut, la pub souvent s’effondre. La pub est un décor de cinéma, une façade en carton-pâte.
Ma petite dame Lafayette me plaît un peu moins cette année. À force de l’observer, j’ai commencé à la trouver bizarre. Un peu difforme. Quelque chose de beaucoup trop long dans ces jambes qui jadis me faisaient fantasmer. Pour vous qui voyez cette image pour la première fois, arrêtez-vous un moment aux jambes. Laissez votre première impression s’estomper. Continuez à regarder… Comparez avec le reste du corps… Est-ce que chez vous, comme chez moi, naît une impression d’étrangeté?
Plus je regardais cette pub dans le métro, plus je me disais que la petite dame avait les jambes trop longues. Alors j’ai mesuré. Je me suis basé sur le canon à 8 têtes, qui décrit les proportions moyennes et souhaitables pour un adulte. Voici une image :
En gros, ça dit que la longueur totale du corps adulte est égale à huit fois la longueur de la tête (du sommet du crâne au menton). Le milieu du corps, c’est le pubis. Donc, pour les jambes, il y a un total de quatre « têtes » : 2 pour le haut de la jambe, soit du pubis au bas de la rotule, et 2 pour le bas de la jambe, soit de la rotule à la plante du pied. (Plus d’information ici.)
Alors revoici la petite madame Lafayette, avec quelques chiffres, pour vous aider à voir :
Mes calculs sont approximatifs. Mais bon, la charmeuse semble avoir une proportion de 5.25 têtes pour la partie inférieure de son corps, au lieu des 4 habituelles. De plus, sa partie cuisse est 20% plus longue que sa partie tibia. Étonnant. Il y deux possibilité : ou bien cette mannequin est spécialisée dans le marché de la longue jambe suite à un problème de croissance; ou bien on a amplement utilisé Photoshop. Une amie qui évolue dans le domaine des magazines me disait récemment que « l’élongation » de la jambe est une retouche courante.
En fait, comme je l’avais appris en regardant le magnifique documentaire « How Art Made the World » de la BBC, l’habitude de la retouche n’est pas nouvelle. L’hypothèse portée par ce documentaire est qu’en art, l’ordinaire réaliste est ennuyant. Et que nous sommes naturellement portés à exagérer. Pour rendre les choses intéressantes. Dans nos contes, dans nos tableaux, au théâtre, en pub, nous exagérons. Allez absolument voir cet extrait du documentaire sur YouTube. C’est un peu long, et en anglais, mais ça vaut la peine. Vers la huitième minute, vous verrez comment les statues de la Grèce antique, supposément si réalistes et parfaites, sont en réalité des exagérations couvertes de retouches. Courbe du dos trop prononcée. Muscles impossibles dans la région iliaque. Profondeur incroyable du canal des vertèbres. Absence de coccyx. De toutes petites retouches.
Le documentaire mentionne aussi la Vénus de Willendorf, cette statuette sculptée il y a 25 000 ans, au paléolithique. Dans Wikipedia, on pourra aussi suivre le lien vers la Vénus de Lespugue, datée de la même période. Sur ces icônes, l’exagération est au niveau des seins, du sexe et des hanches. Je présume que la fécondité était très valorisée, il y a 25 000 ans, en plein pendant la période glaciaire dite « de Würm ». D’ailleurs, les Américains, avec leur préférence marquée pour les gros seins, semblent toujours coincés dans une certaine ère glaciaire. (Meeuuu nonnn Pamela! C’est juste une mauvaise blague!)
Le titre de ce texte est une question : pourquoi les jambes? Pourquoi, aujourd’hui, notre fascination se porte-elle sur ces membres? Pourquoi les chansons « Hot Legs » de Rod Stewart et « Legs » de ZZ Top, au lieu de « Hot Earlobes » ou « Armpits »? Pourquoi les talons-aiguilles? Tina Turner? Les bas de nylon? Le French Can Can? Moi j’aime bien toutes ces jambes. Je suis comme tous les autres mecs. Mais je me pose la question. Je me demande ce que diraient les archéologues de l’an 4000, s’ils redécouvraient les tunnels du métro parisien et leurs publicités. « C’était l’ère du voyage. De la communication. Multiplication des moyens de transport. Diminution des distances, contraction du temps. Les humains des années 2000 étaient fascinés par la vitesse. D’où cette obsession pour la jambe, le membre de la mobilité. » Ce n’est qu’une hypothèse délirante en attendant une meilleure explication.
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6 commentaires:
Très intéressant ce billet. Et fascinant, le passage sur les statues grecques! Tu viens, mine de rien, de me refiler un super bon sujet de reportage... ;-)
Très intéressant en effet...Peut être que la société moderne fait la promotion de l'infinie...les jambes nous assurent peut être le moyen d'agir en ce sens...
À quand une étude semblable à propos de la célèbre poupée Barbie?
Jules et son papa!
@Jules: Il faudrait que vous reveniez à Paris! J'y ai vu une belle expo retraçant l'histoire de Barbie au Musée de la Poupée. Et on peut constater l'évolution corporelle de la dame... de Twiggy à... ma foi... Mme Galeries Lafayette ;-)
Excellente étude !
Et très bonne question...
Très exhausif ce billet...
on voit bien que les filles te trottent (sur leurs longues jambes fuselées) beaucoup dans la tête !
Quant à moi les Barbies voilà comme je les aime... ;o))
http://garbage-art.blogspot.com/2008/12/skinny-dipping-in-full-color.html
http://garbage-art.blogspot.com/2007/12/barbie-cue.html
http://garbage-art.blogspot.com/2008/10/941.html
Un "vieux" parisien amoureux de sa ville, qui en connaît (à priori) toutes les qualités sans oublier tous ses nombreux défauts...
Félicitations pour ton blog que je viens de découvrir en surfant d'un blog à l'autre...
Au fait j'ai habité 15 ans dans le quartier de nation.
Michel
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