mardi 6 janvier 2009

Spécial Scato



Il fallait bien que je parle de caca un jour. Il est toujours intéressant d’observer la relation qu’a un peuple avec son caca. Tabou universel, le caca est une mine d’or d’euphémismes dans toute culture, en plus de révéler bien des trucs pour qui a un talent d’analyste. Loin de moi l’idée de me lancer dans une décortication freudienne du sujet. Je n’ai pas la connaissance requise. Je vais seulement rapporter mes observations, qui peut-être mèneront un jour un esprit brillant à des conclusions inédites et « groundbreaking », comme disent les Américains.

L’idée de parler du caca m’est venue accidentellement, alors que je fumais une cigarette sur mon balcon montréalais. Suite à un événement assez sonore, je me suis demandé pourquoi les pets bruyants ne sentent jamais aussi fort que les pets silencieux. Le pet silencieux est le « stealth » de l’arsenal du pétomane : il arrive discrètement, rapidement, et sa frappe est sans merci. Pourquoi donc une telle intensité? Le pet silencieux provient pourtant de la même source que le sonore, non?

Après quelques secondes de réflexion, je me suis rappelé cet article que j’avais lu, peut-être dans Science et Vie, à propos du nettoyage aux ultrasons. Cette technique est utilisée pour nettoyer des outils de précision, ou des bijoux. Immergés dans une solution, la pièce de métal est bombardée aux ultrasons. Il se forme alors des millions de micro bulles qui éclatent à la surface du métal, et qui le nettoient avec un effet de jet d’air (ou de liquide, je ne sais plus). Donc, un milieu humide et des ultrasons. Dans un cas de pet bruyant, peut-être que le battement rapide de deux belles fesses au passage de l’air produit non seulement un joli roucoulement en fa dièse, mais aussi suffisamment d’ultrasons pour « tuer l’odeur ». Ce n’est qu’une hypothèse. Je demanderai à d’autres de la vérifier.

Source photo : wikipedia.


Chemin faisant, mentalement, j’en suis arrivé à me questionner sur la relation qu’entretient un peuple avec son caca. Il y a beaucoup de variantes et de particularités locales. Je me rappelle par exemple de ce personnage du folklore catalan, un bonhomme représenté accroupi au dessus du fruit de ses efforts abdominaux, le « caganer ». Quand on fouille un peu à Barcelone, on trouve dans les échoppes touristiques des petits santons chieurs (sentons, j’aime bien le mot d’esprit) aux traits de personnages publics. Le Père Noël. George Bush. Elvis. Evo Morales. Les joueurs du FC Barcelone. La schtroumpfette et son petit caca bleu. Et même Barack Obama. Ça c’est pour les Espagnols. Mais pour les Français, que pouvons-nous dire? Voici en vrac quelques unes de mes observations.

Premièrement, le juron le plus populaire en France, ex aequo avec « putain », est « merde ». Parfois, on unit les deux dans « putain d’merde ». C’est encore plus intéressant de constater que le monde du juron français se limite presque uniquement à ces deux expressions. Un peu comme les Américains, qui ont « fuck » et « shit », et qui doivent composer avec cette limitation en utilisant des dérivés comme « motherfucker », « fucking shit », et même « fucking fuck ». On est loin du véritable panthéon judéo-chrétien qui permet aux Québécois de dire des trucs comme « criss de caliss de sacrament d’ostie de ciboire de baptême de bout’d’ciarge de maudit calvaire sale ». Donc, « putain » et « merde ». Pourquoi cette obsession quasi étatsunienne avec la génitalité?

Mais revenons au caca, véritable sujet de ce texte, que je semble chercher à éviter, probablement par pudeur. Contrée de luxe et de raffinement, la France m’a offert le meilleur papier-cul de toute mon existence. Je ne promets à personne la présence de papier Moltonel dans le premier aéroport français. Mais sachez qu’existe en France la possibilité d’une sensation suave, d’une douceur à nulle égale. On dirait du suède ou du chamois, pour vous dire la classe. Aucune marque de luxe américaine ne va aussi loin dans le confort. Et résistant, en plus!

Pourtant, même si la France offre douceur pour les moments privés, une certaine honte semble coller à l’acte. En Amérique, le trône est la plupart du temps dans la salle de bain. C’est de la plomberie pratique : toutes les entrées et renvois d’eau au même endroit. Et ça donne de l’espace pour s’installer et faire les choses avec aise. On peut laisser traîner dans la pièce une partie de sa bibliothèque pour les séances plus longues. En France, par contre, la toilette est bien souvent dans une sorte de placard plus exigu qu’un siège de compagnie aérienne. Si on a le fémur trop long, on n’arrive même pas à fermer la porte correctement, à moins de se mettre en angle (lorsqu’il y a assez d’espace). L’endroit me fait penser à un confessionnal. On s’y décharge rapidement et discrètement de sa honte. Et j’ai vu sur les murs de certains cabinets français des « œuvres » monochromes (disons sépia) suggérant qu’une partie de la population a mal assumé la condition humaine et les fonctions excrétoires qui s’y rattachent. De là à tracer un parallèle entre ces peintures rupestres et la popularité de la psychanalyse à Paris, c’est un pas que je ne ferai pas.

On trouve dans les lieux d’eau français deux articles qui n’ont pas vraiment traversé l’Atlantique : le bidet et la toilette turque. En fait, en Amérique, seuls les snobs possèdent un bidet. Chez la majorité prolétaire, qui travaille à la sueur de son front, quand le cul pue, le reste pue aussi. Alors on prend une douche et on nettoie tout. Quant à la toilette turque, je crois qu’elle persiste en France à titre d’antiquité classée monument national, le revenu moyen étant maintenant assez élevé pour permettre à chacun l’achat d’un siège plus confortable.

Un autre point à noter en matière de caca, c’est l’indiscipline du Parisien lorsqu’il s’agit de laisser son fidèle compagnon se soulager. Notre ami Fido semble jouir d’une immunité totale sur la voie publique, et on le laisse s’exécuter où bon lui semble. De plus, il n’est absolument pas nécessaire de ramener le trottoir à son état initial. On laisse le tout être dispersé par le vent, la pluie, ou un pied malchanceux. Pour remédier au problème, l’administration publique a même dû mettre en place une escouade de nettoyage des déjections canines. Cela dit, la concentration de ces obstacles routiers n’est pas si élevée qu’on le laisse entendre : en six mois à Paris, je n’ai pas encore eu mon baptême de « la semelle qui pue ». Mais ça viendra, ça me paraît inévitable. En comparaison, les Madrilènes, peut-être parce qu’ils sont adeptes de la sandale ou des chaussures en toiles légères, mettent à la disposition de leurs concitoyens, dans la plupart des lieux publics, de petits sacs en plastique fort utiles. Ainsi, on pourrait avancer que pour le Français, le ramassage du caca est une affaire d’État, alors qu’en Espagne, il est perçu comme une partie du contrat social.

Je terminerai mes observations en soulignant la présence marquée du caca dans l'histoire récente des médias français. Je ne sais pas s’il existe sur terre une autre culture populaire où le scato a été abordé aussi crument. Comme on fait l’art pour l’art, la France à l’occasion fait le scato pour le scato. On a qu’à penser au journal Hara Kiri, qui a mis du brun sur sa couverture plus souvent qu’à son tour :
Février 1968
Septembre 1969
Novembre 1970
Et que dire de la bd « Gros Dégueulasse », célèbre personnage de Reiser, avec son vieux slip jaune devant et brun derrière. Le sympathique bonhomme a été porté à l’écran en 1985. Je vous laisse d’ailleurs sur un magnifique extrait de l’œuvre : http://www.youtube.com/watch?v=xNyziizq4Sc


8 commentaires:

Patrice a dit…

Les moto-crottes! Encore un exemple des malversations financières de notre Chichi national(quand il était maire de Paris)
Les chiottes séparées, c'est pour être pénard en lisant un journal.
Ça me rappelle ces deux québécoises que j'avais reçues chez moi quand j'habitais Nanterre. A peine arrivées et la visite de l'appart faite, elles ont pris les gogues en photos :)

sylviane a dit…

Et chez nous en Anjou on dit souvent "Merde chier con", ça veut tout dire!
Les chiottes séparées je revendique, d'autant que chez nous, ou chez d'autres d'ailleurs, c'est pas un placard mais plutôt un havre de détente avec l'espace nécessaire...Une fois de plus, ce qui se fait à Paris ne se fait pas forcément ailleurs...

helianthine a dit…

Aaaaahhhhhhhh, chouette! Un peu de scato! J'ai beaucoup ri! Merci.

Mon nom est Paul a dit…

C'est vrai que les chiottes séparées, c'est une bonne idée. Mais avec un ventilo au plafond, assez d'espace pour les jambe et pour nettoyer derrière en cas d'accident, ainsi qu'une tablette pour les bouquins. Sinon, ça devient vite étouffant.

"Merde chier con", j'adopte. C'est d'une gratuité magnifique. C'est sec, clair, ça frappe. Vive Anjou.

sylviane a dit…

Tu as oublié le petit lave-mains très tendance depuis quelques années dans ces lieux d'aisance :-)

Anonyme a dit…

Puisque t'en parle, je fais un coming out: je trouve au contraire que les toilettes à la turque permettent la position la plus confortable (et naturelle) qui soit pour pratiquer l'art de la défécation!

Mon nom est Paul a dit…

Sylviane, le petit lave-main, si tu parles du petit gel à l'alcool désinfectant, est un truc totalement américain. On a instauré un climat de paranoïa profonde en Amérique, à coups de pubs de désinfectants pour la maison. Maintenant, plus personne n'ose serrer une main sans s'enduire de Purel (marque déposée). Et dans les supermarchés américains, y'a même des petits distributeurs de mouchoirs imbibés d'alcool, afin de bien nettoyer le caddie avant de s'en servir. Chez nous, les gens ont peur de l'autre et de ses bactéries... Y'a tout une industrie qui à la télé nous fait des gros plans sur les moquettes pour nous montrer des animations de méchants germes prêts à décimer toute la famille.

sylviane a dit…

Hello Paul, non en fait le petit lave-mains tendance dont je parle est un petit lavabo dont la couleur est généralement assortie à celle de la cuvette des toilettes :-)