Comme j’ai bu, je voulais faire quelque chose à la Faulkner, genre « fil de la pensée d’un ivrogne », mais je me suis vite rendu compte que je n’ai pas le talent qu’il faut pour ce genre truc. Je n’ai même pas la moitié du talent de Nelly Arcand, ce qui est peu dire sur la profondeur de mon handicap. En plus, en français, il y a beaucoup plus de virgules obligatoires, alors ça ne facilite pas le ronronnement éthylique nécessaire au style.
Source photo : wikipedia.
En ce moment exact, je ne me souviens même plus de quoi je voulais parler quand j’ai commencé à écrire. Il me semble que c’était encore quelque chose de profond, le genre de truc qui nous apparaît comme une révélation après cinq pintes d’Affligem et quatre stations de RER en solitaire. Le truc qui bouleverse ta vie, quoi. (En France, « quoi » à la fin d’une phrase est l’équivalent de « tsé veux dire ».)
C’est encore plus difficile de maintenir le style « fil de la pensée d’un ivrogne » quand ton briquet te lâche et que t’es obligé de descendre au tabac pour en acheter un autre. Surtout quand au moment où tu mets ta veste, tu reçois un appel de quinze minutes à propos d’un party d’anniversaire en préparation. Tu reviens et ton thé est froid. Et t’es obligé de te relire. Pas évident.
Alors je ne sais plus trop. À mesure que je dégrise, mes révélations deviennent plus anodines. Un ivrogne qui boit du thé froid, quelle imposture. En chemin vers le briquet, je suis passé devant l’hôtel deux étoiles avec « prestige » dans son nom. Je suis passé devant le resto marocain toujours plein et qui sent bon. J’ai résisté à l’envie irrésistible de bouffer un dessert. Mais rien de ce que j’ai vu ou ressenti n’a pu ramener à mon esprit ces grandes vérités dont je voulais vous entretenir.
Alors je suis là comme un con à me dire : « Juste cinq paragraphes. Me semble que c’est pas beaucoup. » Et le téléphone sonne encore. Cette fois on me demande l’adresse courriel d’un ami. Et là je reviens et je n’ai plus rien à raconter. Cinq paragraphes, ça suffira.
3 commentaires:
Et ces textes ont pourtant une beauté qui est unique. Une beauté de quotidien, une beauté sans artifice.
C'est un de mes billets préférés, moi!
Merci, c'est gentil.
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