mercredi 5 janvier 2011

Avec des amis comme ça

Pour qui s'intéresse à la politique, c'est-à-dire « la science relative à la gouverne d'un État » (ou la science de se faire des couilles en or en invoquant la raison d'État), la France offre un spectacle fascinant.

En Amérique, nous sommes habitués à un style britannique : les partis tentent de présenter un front uni. Certes, chaque formation possède ses ambitieux qui se livrent des batailles sanguinaires. Mais tout cela reste généralement bien caché derrière les sourires crispés et les discours lénifiants de bon aloi. Tout au plus verra-t-on, à l'occasion, un regard assassin, ou un peu d'ironie bien accidentelle.

Mais la France est une démocratie à la proportionnelle. Elle est gouvernée par une coalition d'organisations mouvantes et malhabilement soudées derrière un sigle : UMP, PS, etc. Il devient donc intéressant pour l'ambitieux de fonder son petit truc avec un nom vaseux, disons la COCU (Coalition Organisée de la Charente Unie), et d'attendre la meilleure offre d'un des ténors.

Donc, si le parti politique canadien est une sorte de noyau atomique à forte gravité, son homologue français devra plutôt être vu comme un amas moléculaire à l'équilibre fragile, constamment soumis à la tentation opportuniste.

La politique française prend ainsi des allures de Feydeau où se succèdent claquements de portes, mariages de raison, et dénonciations dans la presse. Tout politicien français se trimballe au moins dix couteaux : cinq dans la poche et cinq dans le dos.


Source photo : wikipedia.


Par souci de clarté et d'honnêteté, mais surtout pour notre plus grand plaisir, trahisons et assassinats politiques se déroulent en public. Peu importe qu'il s'agisse d'un héritage de la révolution (coupe-coupe-coupe), ou du respect d'une vieille tradition romaine (du pain et des jeux), le bon peuple français peut compter sur une dose quasi hebdomadaire de déchirements et de rebuffades.

Petit échantillon d'avant Noël :


(Parlant de Ségo, cet article du Monde qui résume sa dernière année politique. Tout simplement délicieux, à lire absolument.)

Un des éléments les plus savoureux de la politique française, c'est sa langue de bois d'une élégance et d'un raffinement sans pareil. Le monde est petit, et le politicien qui veut durer le sait bien. Dans la guerre au positionnement, les amis sont les ennemis de demain, mais aussi les frères d'après-demain. Il faut donc maîtriser l'art subtil de fermer une porte tout en la laissant entrouverte.

Ici, chaque déclaration politique recèle de trésors dignes de figurer à l'anthologie de la phrase creuse. On reniera un « pacte » pour parler plutôt « d'une alliance fraternelle ». On dira qu'une « autre France est possible ». On se présentera comme un « allié loyal mais indépendant ». On évoquera les « valeurs d'un humanisme social et libéral ». Et quand on a du talent, on saura, tel un barman des mots, concocter pour le premier micro qui passe une délectable et pétillante déclaration passe-partout : « La gravité de la crise sociale, morale, économique, le recul de l’impartialité de l’Etat et de la séparation des pouvoirs, l’explosion des déficits, la montée de la misère, le recul de toutes les sécurités, tout cela exige des réformes difficiles et donc une majorité large capable de réaliser un programme crédible, porteur de confiance, de justice et d’espérance. » (Quel talent ! Qu'on la prononce à Tokyo, en Bolivie, ou lors du Congrès des comptables agréés du Missouri, cette phrase garde toute sa pertinence, peu importe le moment de l'année. Et on pourra la réutiliser au moins jusqu'en 2047 !)

Le seul petit problème, dans tout ça, c'est les médias. Ah, les méchants médias, ces paresseux : au lieu de se consacrer au vrai travail des politiciens français, ils ne font que s'attarder sur les guerres intestines. Constamment, ils supputent les manoeuvres de tous et chacun, comme dans ce genre de papier. Il suffit de regarder la page politique du Monde : la majorité des textes, au lieu de s'orienter sur l'action concrète, s'occupent plutôt de faire résonner les malhonnêtes rumeurs de tactiques carriéristes. La colère de l'un, la fidélité de l'autre, la stratégie d'un troisième. Ce sont les médias qui font de la politique française une sorte de concours de beauté. Un étatique Secret Story (Loft Story au Québec). S'ils se consacraient aux réalisations tangibles des politiciens français, le bon peuple pourrait enfin dormir tranquille. Comateusement tranquille.

4 commentaires:

Flo H a dit…

Excellent article! De quoi remettre les pendules à l'heure :)

sylviane a dit…

Excellent! Tout simplement et comme d'hab :-)

Unknown a dit…

Et bien félicitations pour votre analyse du microcosme politique Français! Nous admirons,en tant que Français (habitant au Canada depuis 3 ans),la pertinence de vos propos pleins d'humour ,ils nous ont remis en memoire tous les travers de ce pays,que nous aimons malgré tout,mais que nous avons quitté neamoins,en esperant trouver mieux...(pas pour la bouffe,soyons clairs!)..
Nous n'avons pas encore "integre" les subtilites politiques ici(en Colombie-britannique),mais je doute que cela soit aussi alambiqué que chez nous...En tout cas,on est fan de votre blog(decouvert tout recemment)!

Mon nom est Paul a dit…

Ah, merci tout le monde, vous êtes sympas :-)