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Ça fait deux semaines que je suis rentré du Canada, et deux semaines que je veux faire un peu de jogging. Depuis mon arrivée ici en juin 2008, j’ai fait ce que tout Américain fait en France, c'est-à-dire prendre du poids. Vin, bière, bouffe, zéro sport. C’est ça la « joie de vivre » parisienne. Ça fonctionne plus ou moins bien, selon tes prédispositions génétiques. Et moi je me suis retrouvé avec un excès de bedaine.
Avant Noël, j’étais pas bien. Je le sentais dans mes veines. L’impression d’avoir le sang sirupeux. Une certaine angoisse, même. L’essoufflement facile, les petits maux de dos, le fond de fatigue permanente. J’ai donc pris comme résolution de ramener les choses à un état correct. Pas que je veuille ressembler à Brad Pitt. Juste assez pour affronter une semaine de rando en montagne.
Depuis mon retour, je mange mieux et je m’impose une routine d’exercices à la maison. Je sens déjà une légère amélioration. Mes collègues alcolos semblent vouloir m’aider : ils sont beaucoup moins insistants quand vient le temps de me traîner au bar. Ils abusent un peu moins de ma faiblesse. Je suis une vraie pute quand on me propose un petit verre avec les copains. Faut m’entendre : « Non! Non! Bon, ok, juste un. MAIS UN SEUL! » Ils savent bien que je trébuche après le premier. Alors on dirait qu’ils ont choisi de m’épauler en limitant leurs tentations.
Mon seul problème, c’est que je n’arrive pas à faire du jogging. J’y suis allé une fois. La côte du Père-Lachaise a été un cauchemar, mais je m’y attendais. Depuis, il y a eu deux semaines de froid. Courir sous zéro, c’est la bronchite assurée pour moi. J’attendais avec impatience le retour d’une météo positive, mais voilà qu’arrive aussi la pluie. Cette ville gourmande me veut gras. Elle m’engraisse pour me dévorer bien juteux, fatiguée de son lot de chaires sèches à gruger sur l’os. Mais je t’avertis, salope, je vais aller courir quand même! Au prix d’une pneumonie, s’il le faut.
Vous avez le droit de me trouver futile avec mes problèmes de poids, alors qu’on meurt à Port-au-Prince, dans ce pays qui aime sécher sa viande. Je suis désolé, mais je n’arrive pas à connecter. Je suis comme ça. Quand c’est trop immense, ça me gèle les émotions, complètement. Partout à la télé, c’est Haïti. Et les flaques de sang poussiéreux, les affamés qui déguerpissent avec des boîtes sorties des décombres, les pansements déjà purulents, la gangrène-express, les machettes aiguisées. Les images puent la sueur, la pisse, les pneus qui brûlent, la viande avariée, l’ammoniac.
Je ne connais pas Haïti. Mais de loin, j’ai vu tomber les merdes sur ce pays, année après année. Et je me suis toujours posé cette question : pourquoi rester dans ce cloaque infernal? Une question simpliste avec une réponse trop vaste. Dans les suites de la rentrée littéraire, je lisais un peu Dany Laferrière. Pourquoi cette obsession de la terre natale, burinée dans l’âme, et qui continue à faire mal même après l’amputation? Depuis que je vis à Paris, je comprends l’expatrié. Ce n’est pas une affaire de pire ou mieux. En fait, ce que je ressens ne répond pas à la question; ça ne fait que la souligner. Et j’ai l’impression qu’il ne faut pas chercher la réponse dans des logiques quantitatives.
Sur une terre chienne comme Haïti, je comprends que puissent naître des mythologies où se côtoient cruauté et générosité, souvent dans le même personnage. C’est facile, dans nos étendue blanches et paisible, uniformes, de se faire un seul dieu de bonté. Le mal vient de l’extérieur, il est l’envahisseur. Un peu plus au sud, on dirait que tout peut être à la fois diamant et grenade à fragmentation. Chance et malchance, remède et poison. Une dualité fluide, incontrôlable. L’omniprésence du risque, la mort dans la vie et la vie dans la mort, inséparables.
Je devrais fermer ma gueule. Qu’est que je peux ajouter, moi Toto. Mais y’a encore plus con que moi qui se fait aller la margoulette. Y’a ce vieux pasteur complètement sénile, Pat Robertson, qui a dit que le tremblement de terre est le résultat d’un pacte avec le Diable fait à il a 200 ans. Pour obtenir son indépendance de la France, Haïti aurait signé un deal avec Satan. Selon les données, Robertson rassemble 1 million d’auditeurs devant son émission. Et puis Rush Limbaugh, avec ses 13 millions d’auditeurs, qui critique l’intervention rapide d’Obama. Et puis de ce côté, y’a mégalo-Sarko qui propose une conférence mondiale sur Haïti. Au Ritz? Ça sent la photo-op (pseudo-événement à fort rendement de capital politique). Les récupérateurs sont déjà à l’œuvre sur le cadavre tiède. Il ne manque qu’Ahmadinejad pour déclarer que le séisme a été causé par les homos. Et Medvedev (aka Poutine) qui pourrait profiter de l’œillère médiatique pour envahir un bout de l’Azerbaïjan…
Me comprenez-vous, un peu, de parfois vouloir simplement m’occuper de ma bedaine? C’est beaucoup plus simple. Et moins effrayant.
4 commentaires:
Mais voilà qu'il voudrait nous faire accroire qu'au Quebec c'était un grand sportif sans bedaine !?!
Parce qu'il fait jamais froid à Montréal quand on fait son jogging, n'est ce pas...ah ah ah
tsss , tsss, tsss.
@la tortue légère: Tu as un excellent point! Au Québec, par contre, les gymnases avec des appareils pour faire du cardio et de la muscu sont beaucoup plus accessibles, tant financièrement qu'en terme d'horaire.
Pour une trentaine de dollars par mois, j'avais accès à tous les appareils + tous les cours offerts dans toutes les succursales (je sais que ce n'est pas le terme employé en france, mais je ne sais ce que vous dites pour des gyms... Agence?) à travers le Québec. Et les heures d'ouvertures étaient, en moyenne, de 6h à 22h...
En plus les équipes et les clients sont tous sympas. C'est l'fun d'aller s'entraîner. Alors j'avoue que je trouvais donc ça plus facile au Québec.
Mais je parle de moi... Je ne crois pas que Paul ait été abonné à un de ces gyms... Je crois vraiment que pour ce qui est de son «cas», tu n'as pas tort du tout... ;-) Enfin, pour le «grand sportif». Par contre, pour la bedaine, je parierais qu'elle a effectivement légèrement pris du volume... Paul?
Ah, les attaques personnelles virulentes! On ose douter de ma bonne foi! Je vais vous répondre dans un prochain billet. Ça va saigner!
Soyons clairs, je déteste le jogging. Un ti tour en campagne et en forêts, cher Paul ?
Bon transpirer sur ton bureau pour nous écrire des billets beaux zé assassins, c'est bien aussi, vraiment bien. On le vaut bien...
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