jeudi 7 janvier 2010

Inflation sémantique




Les superlatifs épicent les histoires. Les pêcheurs le savent bien; c’est pas pour rien qu’ils en ajoutent toujours un peu sur la longueur de leurs captures. Au Québec, pour insister sur le fait qu’un spectacle était excellent, on dira « hallucinant ». Certains ont sûrement halluciné pendant un spectacle, surtout si c’était Pink Floyd au stade olympique en 1977. Mais personne n’a jamais halluciné à cause d’un spectacle.

Ces superlatifs, ils sont partout dans le discours. On ne les remarque plus. Un superlatif dont on s’est lassé tombe en désuétude. À l’occasion, il faut même un upgrade. C’est comme les drogues à accoutumance : toujours plus fort. Mais quand on est plongé dans une autre culture, ça devient intéressant. On remarque les superlatifs locaux. Leur force nous étonne.

Mardi de cette semaine, le RER A été un peu lent. Beaucoup de trafic, environ 10 minutes de retard sur l’horaire habituel. À la sortie, un mec en rejoint un autre qui l’attendait. Et pour expliquer son retard, il dit : « Ce matin sur la ligne, c’était HORRIBLE! » Moi, j’utiliserais ce mot pour décrire la Shoah, ou peut-être à l’occasion certains restos chinois. Mais pas pour un petit 10 minutes de retard. C’est quand même fort comme mot, quand on y pense, non? Mais bon, à Paris, « horrible » semble n’être qu’un superlatif parmi tant d’autres.

Souvent, on entend aussi le fameux « Mais! C’est un SCANDALE! » On a oublié de mettre la fève dans ma galette des rois : « C’est un SCANDALE! » La queue du supermarché n’avance plus depuis un moment : « Mais… mais… c’est un SCANDALE! » Comme les Français sont champions-râleurs, ils ont beaucoup de superlatifs bien théâtraux pour signifier leur désaccord. Inacceptable. Inexcusable. Insoutenable. Intolérable. Révoltant. Abject. Dégoûtant. Honteux. Odieux. Ignoble. Indigne. Outrant. Monstrueux. Infâme. Inhumain. Immonde. Abominable. Énorme. (Sauf qu’énorme peut aussi être utilisé quand c’est trop cool).

Je me souviens même d’un moment à Nice. J’étais hébergé chez une amie. Un matin, dans l’escalier, un couple déménageait. Les copains étaient là pour aider. Comme lors de tout déménagement, il y avait du monde dans le corridor, quelques meubles empilés, et des cartons pour tenir les portes. C’était un peu encombré, mais y’avait moyen de circuler sans obstacle. Un peu devant moi, une dame de l’immeuble se dirige elle aussi vers la sortie. Toutefois, elle s’arrête un moment, regarde la scène, et déclare solennellement : « Mais c’est INADMISSIBLE! »
J’ai failli éclater de rire. J’avais envie de renchérir : « Faut appeler l’armée, madame! Vite, donnez-moi votre portable! Alertons le président de la République en personne! Des gens déménagent, croyez-vous ça! Et en plein jour, SANS AUCUNE HONTE! »

D’un autre côté, j’imagine bien le Parisien sourciller lorsque, lors d’un passage à Montréal, il entendra des choses comme : écoeurant (extraordinaire). Capoté (spectaculaire). Chien (cruel). Colon (rustre). Croche (malhonnête). Épais (stupide). Patente à gosses (truc mal fait). Kétaine (ringard). Manger ses bas (s’inquiéter). Paqueté (ivre). Taouin (nigaud). Pas vargeux (décevant). Pas d’allure (inacceptable). Avoir du front tout le tour de la tête (avoir du toupet). Pas de bon sens (insensé). Ça regarde mal (échec en vue). En arracher (de qualité passable). Broche à foin (mal organisé). Être bleu, ou être en beau joual vert (être en colère). Avoir son voyage (en avoir assez). Un sapin (une arnaque).

Bon, tout ça pour dire qu’un jour, les Français se lasseront des mots très forts comme inadmissible et scandaleux. Je ne sais pas trop vers quoi ils iront. Peut-on aller plus loin? Y’a-t-il un sommet au superlatif?

Mais! c’est un ATENTAT!
Mais! c’est un CATACLYSME!
Mais! c’est un POGROM!
Mais! c’est une DESQUAMATION!
Mais! c’est un GENOU PLIÉ À L’ENVERS SANS ANESTHÉSIE!
Mais! c’est un TUNNELIER DANS L’ANUS!
Mais! c’est SARKO À L’EPAD!


2 commentaires:

Marie-Julie a dit…

Hi! Hi! Merci de me faire rire en cette journée «frette» et grise...

La tortue légère a dit…

Merci pour ta liste en québécois, je vais retenir cette leçon de mots. J'aime.
Lôlà