On me demande souvent : « Tu n’as pas encore vécu ta première grève du RER? » Je réponds par la négative, alors on me dit avec un sourire en coin : « Attends, tu n’as rien vu. » Je ne suis pas vraiment pressé. Mais il semble qu’une bonne grève des transports publics soit un passage obligé pour quiconque souhaite un jour se prétendre expert de la France.
Ici, la grève semble jouir d’un statut particulier. Quelque chose comme un droit essentiel. L’appendice obligé du droit de parole. On semble y avoir recours assez facilement. Pas besoin d’un conflit de travail qui s’éternise. Pas besoin d’une grosse raison. Suffit d’être pas content un bon matin, et tu peux faire la grève. Suffit que les cheminots décident collectivement d’être en colère contre la montée du prix du bock à bière en Tanzanie.
La grève a même sa petite place sur la tribune des héros de la Résistance. À la station Hôtel-de-Ville, une belle grosse plaque nous informe que le 13 août 1944, le métro de Paris a été paralysé par une grève, un geste de défiance héroïque face à l’occupant allemand. Le texte est tellement élogieux, on croirait presque que cette grève a scellé à elle-seule l’issue de la Deuxième Guerre Mondiale.
Je monte dans le wagon encore tout impressionné. Mais après un moment, je me dis : « Wo menute toé-là… Attends un peu, chose. 13 août 1944? Pas 41, pas 42. J’ai bien lu quarante-quatre? » Tout à coup, y’a comme une date qui me tracasse. En arrivant chez moi, je vais faire un petit tour sur Wikipedia. « Libération de Paris ». Ça vaut la peine d’aller voir. Ça remet les choses en contexte.
Le 13 août 44, les Alliés sont à un jet de pierre de Paris. Tout le monde sait que la ville sera libérée d’ici quelques jours. Un mouvement de résistance populaire s’élève. À peu près tous les services publics tombent successivement en grève. Postiers, policiers, etc. Le 18 août, c’est la grève générale. Les combats commencent le 19.
Le texte de Wikipedia est intéressant : « Les ordres de Hitler prévoyaient la destruction des ponts et monuments de Paris et la répression impitoyable de toute résistance de la part de la population, et de combattre dans Paris jusqu'au dernier homme […] Mais le général Dietrich von Choltitz ne montre aucun empressement à les appliquer, malgré sa garnison allemande forte de 20 000 hommes, mal équipés, aux unités disparates (unités administratives par exemple) de faible valeur combattive, 80 chars (dont certains datent des prises de guerre de l'été 1940 comme des chars Renault FT-17 d'un autre âge) et autant de pièces d'artillerie, pour certaines désuètes. »
Source photo : wikipedia.
Le 25 août, Paris est libre. Des 20 000 combattants allemands, 12 800 sont faits prisonniers. Plus des deux-tiers. Sans vouloir diminuer tous les sacrifices des soldats alliés et des résistants français, j’ai l’impression que l’ennemi n’était pas très motivé à se battre. Le vent avait tourné. Les soldats allemands étaient pour la plupart écœurés. Un peu plus tôt dans l’été, des haut-gradés avaient tenté d’assassiner Hitler. Un autre article de Wikipedia indique que Dietrich von Choltitz avait accepté un cessez-le-feu dès 19 août. Le texte dit du général : « Conscient que la destruction des infrastructures de Paris serait inutile, que la guerre est perdue pour son camp, et soucieux de ménager son avenir de futur prisonnier (il a déjà un lourd passé notamment vis-à-vis des batailles de Rotterdam et de Sébastopol) il gagne du temps pour pouvoir donner sa reddition à un officier allié. »
Après un moment, on finit par s’attacher aux Français. Et Paris, c’est quand même Paris. Je me verrais mal abattre la Tour Eiffel ou mettre le feu au Louvre, parce que me l’a ordonné un fou dont les jours sont comptés.
Ce que je vais dire est peut-être une hérésie. Sous l’occupation, les Parisiens ont résisté de diverses manières. Mais à la station Hôtel-de-Ville, je crois qu’on devrait mettre une deuxième plaque. Elle dirait à peu près ceci : « À Paris et à ses citoyens, qui ont fait de leur charme un arme de résistance. »
2 commentaires:
Salut Paul.
Tes billets sont succulents. Lâches pas la patate, je me régale. Il faudra publier çà.
Prend quelques rouges à ma santé.
ciao.
Éric M.
Et moi je dis "Paul, vos billets sont très succulents!!! On en redemande!!! A quand le prochain ? ça me tarde!!!
Pour avoir de la famille au Québec, j'aime bien les blogs qui parlent de la différence entre nos deux cultures. Je ne sais plus trop comment j'ai atterri sur le vôtre (un blog qui renvoyait vers un blog qui...), j'aime bien, tout simplement! Au plaisir et bon séjour en France.
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