Arcachon est un port de mer non loin de Bordeaux, un petit endroit sympa qui a vu naître et grandir les 12 énormes huîtres que j’ai dévorées hier soir. Elles étaient magnifiques, dodues et bien claires. À chaque « slurp », j’avais l’impression de me retrouver à Pointe-aux-Outardes, pas loin de Baie-Comeau, quand le vent d’automne nous amène l’air salin et frais. À travers le parfum du trait de citron et le salé délicat, je percevais une légère odeur de melon, inhabituel mais savoureux.
Source photo : wikipedia.
Arcachon est aussi le lieu de travail du petit père qui tient La Cabane à Huîtres, un troquet de 20 places dans le XVe. Ostréiculteur, il débarque à Paris les jeudis avec ses huîtres et tient boutique jusqu’au samedi soir. Les huîtres du samedi lui sont expédiées par son fils et arrivent à Paris tôt en matinée. Le dimanche, il repart dans le sud pour une autre récolte.
La Cabane est un lieu minuscule où on mange au coude-à-coude dans une belle ambiance. Le bonhomme ouvre ses huîtres, fait circuler des bouteilles d’un bon petit blanc pas trop sucré, et jase avec tout le monde. Il nous raconte qu’il est le dernier en France à cultiver ses huîtres directement sur le sable. La baie d’Arcachon est à l’abri des roulis et compte plusieurs bancs de sable en eau peu profonde, ce qui permet la pratique traditionnelle. Il dénonce la « nouvelle » manière, l’élevage en sacs, qui selon lui cause une pléthore de problème environnementaux, l’apparition de parasite, etc. Son assistante, prénommée Ségolène, le laisse parler et s’occupe des clients. Elle passe les assiettes au dessus des têtes, et nous demande un occasionnel coup de main quand il n’y a pas assez d’espace pour circuler.
Après les huîtres, le bonhomme nous fait livrer une tranche d’un succulent foie gras de sa région. C’est tout ce qu’il y a sur le menu : huîtres et foie gras. Avec le foie gras, il nous tend une bouteille d’un bon petit vin liquoreux : « Faites circuler, y’en a pour tout le monde. » Puis une belle tranche d’un beau fromage basque. Et pour finir, « un p’tit décaf’ », comme aime dire le bonhomme en faisant un clin d’œil. Son « décaf’ », c’est un Armagnac maison qui doit titrer à au moins 50%. Un petit truc absolument somptueux, fait par des gens qui aiment un peu pousser la dose, sans toutefois escamoter le savoir-faire. Si le bonhomme voit que ton verre est vide, il dit à ton voisin de t’en remettre. C’est prix fixe, il ne compte pas les verres.
Évidemment, je suis le « canadien » de passage. Tout client qui entre est bruyamment informé de la situation et invité à me serrer la main. Là, il se passe quelque chose de vraiment sympathique. Assis à peu près au milieu du resto, je me retrouve à jaser avec toutes les tables voisines. Le Français à cette merveilleuse qualité d’être curieux, cordial, et d’aimer discuter. Au Canada, si on nous présente un étranger dans un resto, on dit : « Ah bon. Bonsoir ». On fait un signe de tête et ça en reste là. Dans la cabane, je me retrouve à échanger avec une famille de parisiens qui ont vécu à New York. À droite, deux petits couples de bobos me parlent politique et culture. Ça dure comme ça tout le repas.
Mes délices terminés, je me lève pour quitter. Mais Francis et Anne, un des deux petits couples, insistent pour que je les rejoigne le temps d’un dernier « p’tit décaf ». C’est la Nuit Blanche à Paris et ils ont prévu aller voir une sorte de projection multimédia branchée dans une cité du XXe. Ils m’invitent, alors je me ramasse dans le nord de la ville, à déambuler dans les petites rues, avec Francis qui trippe de redécouvrir le « vrai Paris du vrai monde », pour ce que ça veut bien dire. Le spectacle est intéressant. On y retrouve une autre petite gang de quarantenaires bobos, et tout le monde finit la soirée dans un « authentique » bistrot de quartier (leur expression) style murs-beiges-1970, pour un véritable demi sur des bancs en bois bien prolos. Ça discute, ça débat. Langue, politique, Amérique, Europe. Belle petite soirée.
Plus tôt avant le repas, dans mes pérégrinations du samedi après-midi, je me suis retrouvé par hasard à la porte du cimetière Montparnasse. J’en ai profité pour aller saluer Serge Gainsbourg. Je crois que de l’au-delà, le bon vieux Serge s’est arrangé pour m’organiser une soirée sympathique et bien arrosée. Vieille canaille.
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