jeudi 23 août 2012

Bakchich collégial

En France, démarrer un truc sans faire de réunion, c'est suicidaire. Si on souhaite qu'un projet avance rondement, il est primordial d'organiser un kick-off meeting avec 37 intervenants complètement superflus. Ceux-ci ne souhaitent absolument pas participer à la charge de travail. Ils veulent seulement être entendus. Émettre publiquement un opinion savante, généralement contradictoire à l'orientation du projet.

La plupart de ces invités sont loin du sujet, ne comprennent rien au projet, et n'ont rien à dire. Mais pour maintenir un certain standing, ils voudront montrer qu'ils ont "de la hauteur", avec des objections vaseuses et abstraites. Se sachant ignorants, donc taraudés par leur syndrôme de l'imposteur, ils joueront l'auto-protection par l'aggression, avec des commentaires truffés de sous-entendus gratuits visant à humilier.

Exemple : "Je crois qu'il faut solidifier votre approche de contingentement en ce qui concerne le besoin de performance, trop souvent oublié, surtout si on envisage une optique sérieuse et pérenne."

Et sa traduction : "Votre approche n'est pas solide, vous avez oublié les besoins de performance (que je viens d'inventer), vous n'êtes pas sérieux, vous n'avez pas de vision à long-terme."

Source photo : wikipedia.


Pour qu'on vous foute la paix, surtout ne défendez pas votre projet. Il est préférable de la jouer humble, d'accepter la critique, et même de valoriser celui qui la formule. Avec des compliments : "ce que vous dites est important", "ce point mérite qu'on s'y arrête", "j'aime votre manière de voir les chose".

Rappelez-vous aussi que ces gens ne veulent absolument pas consacrer du vrai temps au projet. Alors s'ils font trop chier, menacez subtilement de les impliquer : "Aurions-nous besoin d'approfondir ce point ? Croyez-vous que nous devrions planifier des rencontres entre mon équipe et la vôtre ? Je sais que les délais sont serrés, mais vous pourriez peut-être préparer une formation ?" Ça devrait les faire taire.

Acceptez le fait qu'on vous roulera dans la farine pendant les deux heures d'une réunions qui devait n'en durer qu'une. Mais c'est pour le bien de votre projet. C'est une manière d'acheter la paix. Ces gens se valorisent par l'étalage public de leur opinion. C'est leur manière de s'attribuer une pertinence dans l'organisation.

Dites-vous que c'est une sorte de "petit cadeau". Dans les systèmes corrompus, on verse de l'argent. Dans les sociétés plus nobles, on flatte les égos. Escamotez ce détail, et vous souffrirez. Pendant toute la durée de votre projet, vous aurez sur le dos un troupeau de chieurs qui voudront venger leur orgueil blessé.


En complément, petit article, originalement publié dans Le Monde, qui nous indique que les réunions rendent con.

1 commentaire:

Benoit Gratton a dit…

J'adore. Une pièce d'anthologie.