C’est avec une certaine ironie que je vous cite « Nègres blancs d’Amérique ». Dans cet ouvrage publié en 1968, le felquiste Pierre Vallières comparait la situation des Québécois à celle des Afro-Américains en lutte pour leurs droits civiques. Même si l’image est un abus, les Québécois n’ayant jamais été soumis à l’esclavage ni a un système officiellement ségrégationniste, dans son parallèle Vallières a vu juste sur un point.
Ceux de vous qui ont lu Freakonomics, de Steven D. Levitt et Stephen J. Dubner, se souviendront du passage où les auteurs citent les travaux Roland G Fryer. Ce jeune économiste noir a étudié la notion de « faire le Blanc » (Acting White). Plutôt que de me lancer dans ma propre définition, je vous invite à consulter la page wikipedia sur le sujet. Résumé de manière grossière, le terme est né d’un phénomène identitaire qui pousserait les communautés afro-américaines et hispaniques des USA à percevoir comme une trahison culturelle l’ambition de performer dans des domaines traditionnellement « blancs ». Même chose pour l’adoption d’habitudes ou modes dites « blanches ». Ainsi, dans certaines communautés, viser le succès académique serait « faire le Blanc ». Et par opposition, les membres de ces communautés seraient soumis à la pression de « faire le Noir », entre autres dans leurs choix de consommation.
Source photo : wikipedia.
Bon, je n’ai jamais été noir, je ne crois pas que je le deviendrai, alors je ne peux pas trop me prononcer sur le sujet. Mais pourtant, le passage de Freakeconomics a soudainement éveillé quelque chose dans mon esprit. J’ai reconnu quelque chose de ma société dans cette notion de « faire le Noir ».
Au Québec, il existe une sorte de pression sociale similaire. Ce qui est mal perçu chez nous, c’est de « faire l’Anglais ». Une habitude qui est ouvertement condamnée, c’est celle de parler en anglais à un Québécois anglophone : « Il est au Québec, qu'il apprenne le français ». Après une réunion, on se plaindra du choix d’avoir tenu la discussion en anglais pour accommoder le seul anglophone unilingue du groupe (même s’il s’agit d’un Américain!) Et si un chanteur Québécois fait une chanson en espagnol ou en inuit, on vante son originalité. Mais s’il ose chanter en anglais, on lui demandera des comptes. Certains Guy A iront jusqu’à le qualifier de traître. Le vers « I am the Judas of the French Canada » vous rappellera certainement quelque chose… Et puis y'a ces remarques qu'on fait, lorsque quelqu'un rapporte un accent après un long séjour aux USA.
Pour moi, tout ça, c’est le signe d’une quête identitaire qui n’est pas achevée. Du moins, pas également dans toutes les têtes… Cette nécessité d’insister sur sa différence. Ce rejet de l’autre. Cette approche défensive. Comme nous étions une nation adolescente. Entre la naissance du désir identitaire et la fixation d’une identité réelle, il s’écoule un moment. Il faut que jeunesse se fasse, comme on dit. Les choses avancent : le Québec a probablement autour de 17 ans. Les crises brutales sont passées, mais il reste encore un petit bout de chemin avant d’atteindre une certaine sérénité.
On sent bien, dès qu’on ouvre le débat sur la souveraineté, que les sentiments sont encore vifs. Les deux camps dérivent rapidement vers une position intégriste. Les insultes arrivent vite, tout comme les raccourcis rhétoriques. La propagande prend bien. Je le vis, moi-même, à travers les commentaires reçus au sujet de cette série de billets. Ils sont virulents, campés, immédiatement agressifs. Encore un fois, j’y vois quelque chose de ces adolescents qui, lorsqu’ils revendiquent, le font corps et âme. Ce n’est pas pour rien qu’on choisit des jeunes pour les attentats-suicides, ou la guerre : leur foi est profonde et intense. Et mon analogie, certes un peu grossière, s’applique aux deux camps, fédéraliste comme souverainiste.
Je vais peut-être vous étonner, mais je ne suis pas intrinsèquement contre la souveraineté du Québec. En fait, je suis surtout contre le PQ, un parti qui me fait peur. Un parti assez débile pour attiser des notions comme le « Québécois de souche, le seul citoyen digne de voter lors d’un troisième référendum ». Ce genre de stupidité, c’est littéralement de l’eugénisme. Ça pue les méthodes d’un tristement célèbre national-socialisme allemand. Le PQ, un parti perpétuellement divisé, sans direction claire, et en proie aux coteries. Un parti obsessif-compulsif, fixé sur son seul objectif, à n’importe quel prix et sans compromis. Donc un parti inapte à gouverner sereinement un nouvel État, surtout à travers les troubles de sa naissance.
Je disais donc, je ne suis pas contre la souveraineté. Le fédéralisme canadien comporte effectivement quelques lacunes. Il y a nécessité de faire des aménagements. Mais la bipolarité offre aussi certains avantages, un terrain mitoyen entre le feu et l’eau, l’équivalent politique de la saine concurrence dans le commerce (par opposition à un monopole).
D’un autre côté, je crois aussi que si la souveraineté devait survenir, le Québec arriverait à vivre décemment sans le Canada. Un petit pays à peu près similaire à l’Irlande, doté de ses institutions culturelles bien à lui, de richesses naturelles suffisantes, et d’un régime démocratique de niveau occidental. Ça pourrait fonctionner, je crois.
Mais mon opinion est que notre nation n’est pas prête. Elle a encore des problèmes identitaires à régler. Si nous réagissons si mal devant la « chose anglaise », c’est que nous avons encore un petit fond d’insécurité. Un petit manque de confiance qui nous pousse souvent à nous camper collectivement dans une position défensive. Par opposition, la nation mature est confiante, affirmative et ouverte; elle va vers l’autre car elle n’a pas peur.
Il y a cette notion de fierté, aussi, qui n’est pas encore au point. Du patriotisme, et parfois même un peu de chauvinisme, c’est important pour un peuple. Au Québec, à chaque Saint-Jean, on nous répète « Soyez fiers! » (Pour mes amis français : la Saint-Jean-Baptiste, le 24 juin, est la fête nationale des Québécois) Mais après ces appels à la fierté, on nous oblige à une lecture victimisante de notre histoire : conquête anglaise de 1760, humiliation des Patriotes, Crise d’octobre, défaites référendaires… Je n’aime pas cette manie d’endosser le rôle de victime. Quoi qu’on en dise, le Québec est un membre essentiel de l’histoire nord-américaine. Sans le Québec, pas de Canada. Faudrait peut-être essayer d’y lire des points positifs.
Si la souveraineté doit un jour arriver, je crois qu’elle viendra naturellement. Un peu comme la chute du mur de Berlin. Ce jour-là, notre pensée sera moins manichéenne, moins enfantine. Anglos vs Francos, libéraux vs péquistes, rouge vs bleu, Ottawa vs Québec… tout ça sera fini. Il ne restera que « Nous, et là où nous voulons aller ». À ce moment, si l’indépendance doit arriver, elle arrivera, comme la rivière choisit son cours. Et nous n’aurons plus besoin de cet exercice d’auto-conviction qu’est celui de « faire le Québécois ».
P.S. - Les Anglophones comptent pour environ 10% de la population du Québec. Beaucoup y sont depuis des générations. Ils sont souvent plus « Québécois de souche » que certains péquistes. La nation québécoise, souveraine ou non, doit tenir compte de cette composante de sa culture. Les Anglo-Québécois sont des acteurs forts de notre identité, de notre histoire. Exclure les « Anglos » revient à une auto-amputation.
5 commentaires:
Bonjour Paul,
Je vous donne raison sur un point, nous sommes une nation adolescente. C’est pour cette raison que je suis en faveur de l’indépendance du Québec. À mon avis, le contrôle de l’ensemble des pouvoirs d’un État souverain nous permettra d’orienter notre avenir collectif au niveau politique, économique, culturel et social. Bref, de s’approcher de la maturité politique.
J’espère que vous ne vous positionnez pas en dehors du débat entre indépendantistes et fédéralistes dont vous jugez les propos «virulents, campés, immédiatement agressifs». Vous y être jusqu’au coup ! Monsieur, faire un rapprochement entre le PQ et le «un tristement célèbre national-socialisme allemand» sur un blogue au lectorat en partie européen qui ne maîtrise pas les référents culturels québécois et connaît peu le contexte politique d’ici est franchement malhonnête. Avez-vous conscience de la portée d’une allusion de la sorte ? Le nazisme a éliminé des millions de Juifs et mis l’Europe à feux et à sang !!! Je pense que vos lecteurs européens méritent que vous rectifier vos propos.
En terminant, les Anglophones du Québec ont droit à une éducation en langue anglaise, à être servis en anglais dans les institutions publiques et à des hôpitaux «anglophones». Ils ont pleine liberté de presse (journaux, télévision et radio anglophones). Ils ont des droits historiques reconnus par l’Assemblée nationale, droits que la très grande majorité des indépendantistes ne remettent pas en question. Le statut et la condition de la minorité anglophone du Québec surpassent les normes internationales en matière de respect des minorités. Et vous parlez d’exclusion ?
Je tiens à vous rassurer, les conventions internationales en ce qui concerne la reconnaissance des nouveaux pays sont ainsi faites qu’un Québec souverain devra faire la preuve devant la communauté internationale qu’il est en mesure d’assurer son intégrité territoriale, d’assurer la loi et l’ordre et de faire respecter les droits des minorités sur son territoire…trois conditions essentielles pour une reconnaissance internationale. Des conditions que nous remplissons à mon avis.
Bonne journée!
Casimir, avec votre acharnement et vos dissections obsessives de mes billets, vous nous prouvez que le clan souverainiste compte une bonne part d'intégristes.
Pourtant, avec un lectorat d'à peine 50 personnes par jour, dont au moins la moitié sont des habitués, je pensais arriver à passer sous le radar des cerbères péquistes. Et non. La police du nationalisme est aux aguets. Toujours. Non stop.
Mon lecteur européen comprendra donc la lassitude D'UNE MAJORITÉ (DEUX FOIS) de Québécois.
Bonjour Paul,
Vous discutez de la volonté d'indépendance d'une partie de vos concitoyens avec votre point de vue bien campé. Il est normal que certains lecteurs soit en désaccord avec vous.
À mon avis, la prise de parole dans la sphère publique implique que l'on en accepte les règles.
La discussion franche et honnête implique aussi de faire ressortir les aspects de la pensée de l'autre qui nous paraissent plus faibles ou moins bien étayés.
Bonne journée!
Casimir,
Je crois que vous êtes non pas entêté, mais plutôt borné et malhonnête... Paul a exprimé, je crois, une chose très simple; son écoeurement. Cet écoeurement qui, dois-je vous le rappeler, est partagé par plusieurs personnes (un peu plus de la moitié de ce que vous appelez une nation) et qui a été exprimé à l'occasion de deux référendums (perdant ou gagnants selon votre point de vue - votre négativisme me porte à croire que vous opterez pour le mot perdant).
Comment quelqu'un qui écrit que «[...] les Québécois forment et se perçoivent comme une nation» ose-t-il parler de malhonnêteté alors qu'il sous-entend que sa propre opinion représente celle d'une majorité? Pour qui vous prenez-vous? Vous a-t-on mandaté en tant que porte-parole de la «nation» québécoise? A-t-on fait un référendum là-dessus? J'utilise la 3e personne, car on ne m'a pas consulté bien que je fasse partie de cette soi-disant «nation»... mais je ne dois pas faire partie de ceux qui peuvent prendre ce genre de décision, mon opinion étant contraire à celle des séparatistes. Au fait, je ne suis pas «l'argent» ni «les votes ethniques»...
Dans tous vos commentaires, je n'ai lu aucun argument digne de ce nom. Seulement le même vieux discours lassant des séparatistes, l'indignation (tiens, ça me rappelle justement quelque chose) face aux commentaires de notre ami Paul (vous êtes sauté sur le rapprochement Allemagne-Québec comme une mouche sur un tas de m****), l'acharnement voire la compulsion qui vous pousse à faire des commentaires à tout prix, le recours à de fausses affirmations et le refus à admettre que vos arguments sont erronnés en ramenant le dogme de la Ô-sainte-Nation-Québécoise comme s'il s'agissait de l'ultime argument excusant ou expliquant tout ce que vous ne pouvez justifier. Pour vous, c'est simple; si l'argument ne vous plaît pas, vous dites «Oui, mais ça ne s'applique pas, car nous sommes une nation». Pow, pow t'es mort sinon j'joue pu. Nous sommes une PROVINCE que ça vous plaise ou non. Je peux vous blesser en disant ceci, mais vous êtes un Canadien.
Paul a raison en partie en affirmant que la «nation» québécoise est adolescente. Malheureusement, certaines parties de cette «nation» sont à des stades plus primitifs que d'autres. De mon côté, j'ai rarement vu un adolescent régrésser autant que la province de Québec. Notre économie est au point mort, nos infrastructures sont honteuses, notre point de vue trop nombriliste et notre vision trop étroite. On s'est assis sur ses lauriers et on se complait de son petit bonheur en croyant avoir tout vu. Tout ça parce que les vrais débâts sont évités. On préfère voter pour un incompétent plutôt que de ramener au pouvoir un parti politique obsédé par un idéal ridicule. Idéal pour lequel on lui a dit clairement indiqué qu'il ne nous intéressait pas; et deux fois plutôt qu'une.
Vous et les autres indépendantistes êtes un boulet pour le Québec et le Canada en général. Vous alimentez des discordes inutiles. Si au moins vous vous faisiez une raison après la défaite ce serait déjà vous montrer bons joueurs, mais vous êtes sans honte et vous refusez la défaite. Ce n'est pas de la détermination, c'est une déviation.
Vive le Québec libre... des séparatistes fanatiques
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