dimanche 11 octobre 2009

Who’s your daddy




(Je prends une petite pause dans ma thématique « Les obsèques du martyr québécois », question de bien documenter le prochain épisode…)


Ce texte du journal Libération nous parle de la nomination de Jean Sarkozy à l’Epad, l’organisme qui gère le quartier de la Défense (où je travaille). Le site accueille 150 000 salariés, dans 1500 entreprises, dont 15 figurent parmi les plus grandes au monde. Belle promotion pour un kid de 23 ans. Moi, ça me laisse perplexe. À 23 ans, je n’étais qu’un p’tit con à peine diplômé. Mais bon, certaines personnes doivent être plus douées que la moyenne. Mozart composait ses premiers menuets à 6 ans. Jean Sarkozy a peut-être un don inné pour la chose politique. Reste que la section « polémiques » de la page Wikipédia consacrée au fils du Président est quand même rigolote dans sa manière de suggérer que les avantages du jeune homme ne sont pas qu’innés.

Candidement, je dois admettre que je suis quelque peu surpris. Disons que mon sourcillement est à ce point marqué que j’en ai une crampe au front. Occuper un tel poste à 23 ans? Je sais que la France encourage beaucoup la jeunesse. Certains de mes « patrons » sont très jeunes. Chez-nous, on les trouverait trop « greens » (dans le sens de « pas mûrs »). Mais en France, on valorise beaucoup « l’éducation », le diplôme, ou même le pedigree.

Source photo : wikipedia.


Je n’irais pas jusqu’à dire que le relations françaises sont basées sur l’influence (comme dans l’expression « trafic d’influence »), mais peut-être qu’ici, le fait d’avoir des relations puissantes est un atout professionnel jugé supérieur à celui de posséder une longue expérience. Ainsi, la nomination de Jean Sarkozy a ceci de positif pour l’Epad que le jeune homme est littéralement connecté sur ze top-pouvoir.

Et si je militais pour la protection du mulot à poil ras des Andes. Et que soudainement, et ce malgré une méconnaissance totale du petit rongeur, Jean Sarkozy était nommé président du CAMPRA (Coalition des amis du mulot à poil ras des Andes), je crois bien que j’en serais heureux. Une telle nomination porterait ma cause au devant de la scène, tout en lui donnant accès aux coulisses du pouvoir. Ça serait certainement plus efficace comme présidence qu’un mandat assuré par le directeur de la revue « France-Mulot » (un hypothétique trimestriel de 8 pages photocopiées), n’est-ce pas? Alors qui à l’Epad peut se plaindre de la nomination du fils du Président.

Pour avancer dans ma réflexion, je vais vous parler d’un autre dossier : l’enquête interne du Fonds monétaire international (FMI) à l’endroit de son directeur général, Dominique Strauss-Kahn. En 2008, on suspecte un éventuel abus de pouvoir du politicien français en faveur de sa maîtresse, Piroska Nagy, ancienne responsable du département Afrique du Fonds. On relève aussi une histoire de pressions dans l’embauche d’une stagiaire. La tempête médiatique est alimentée par des articles du Wall Street Journal. (source ici)

À la cantine, avec les collègues, les commentaires à propos de cette histoire sont révélateurs. Mes collègues français croient que derrière ces accusations de favoritisme se cache une tentative de coup politique à l’endroit de monsieur Strauss-Kahn, tentative qui serait d’origine américaine.

Peut-être… Ce ne serait pas la première fois qu’on utiliserait le scandale pour dégommer un politicien. Américaine? Peut-être aussi… Le missile utilisé est une allégation de « pistonnage », de quoi grandement exciter une opinion américaine allergique à ce genre de manœuvre. Évidemment, le pistonnage existe aussi chez-nous, mais il est exécuté avec beaucoup plus de subtilité, car l’acte est très mal toléré. Nombreux sont les politiciens qui ont perdu leur poste pour avoir mis le CV d’une belle-sœur au sommet de la pile, même pour un poste sans importance. On n’a qu’à citer le premier mandat du Premier ministre canadien Brian Mulroney, au cours duquel pas moins de six ministres ont été congédiés ou ont dû démissionner, et ce pour des raisons quelques peu « futiles » quand on les compare à ce qui est toléré ici en France. Nos politiciens multiplient donc les « couches isolantes » entre eux-mêmes et les bénéficiaires du pistonnage. Exemple? Un ministre fera pression sur des fonctionnaires afin qu’un gros appel d’offre gouvernemental soit modifié. Ces modifications auront pour effet de favoriser la candidature d’une certaine entreprise. On apprendra plus tard que cette entreprise aura retenu les services d’un cabinet d’avocats au sein duquel exerce, tiens donc, le beau-fils du ministre.

Mais revenons à Dominique Strauss-Kahn, et à mes collègues. Qu’ont-ils à dire à propos de la nature des accusations portées par le Wall Street Journal? Bof… C’est du petit pistonnage. Il faut s’y attendre. C’est frustrant, mais plutôt normal. Une sorte de prérogative tacite du pouvoir.

Je trouve un écho de leur tolérance dans la réaction des médias suite à la nomination de Jean Sarkozy à l’Epad. On est très loin du scandale qui forcerait enquêtes ou démissions. L’opposition ne gueule pas vraiment plus fort que d’habitude. Ce sont les protestations de rigueur. On sent que d’ici deux ou trois jours, on aura passé à autre chose.

Dans un cadre où il est beaucoup moins stigmatisé socialement (et je ne dis pas qu’il doit l’être), le pistonnage se révèle tout à coup comme un puissant outil d’avancement professionnel. Il est donc important, dans un tel cadre, de soigner ses relations. Tout ça m’aide un peu à mieux comprendre pourquoi mes collègues passent tant de temps à discuter près de la machine à café.

Dernier point : Jean Sarkozy a-t-il vraiment été pistonné? C’est-à-dire, est-ce que papa Nicolas a vraiment eu besoin de placer un appel téléphonique pour convaincre quelqu’un? Il est permis d’en douter. Si un beau matin, par nécessité ou par simple envie de se distraire, le pouvoir (ou son fils) cognait à votre porte, que feriez-vous?

Franchement, que feriez-vous? Épargnez-moi vos crises d’intégrité et de moralité. Votre réponse ne m’intéresse pas. Répondez-y intérieurement, pour vous-mêmes.


(P.S. voir les commentaires pour mise à jour)


2 commentaires:

Grégoire. a dit…

"Je trouve un écho de leur tolérance dans la réaction des médias suite à la nomination de Jean Sarkozy à l’Epad. On est très loin du scandale qui forcerait enquêtes ou démissions. L’opposition ne gueule pas vraiment plus fort que d’habitude. Ce sont les protestations de rigueur. On sent que d’ici deux ou trois jours, on aura passé à autre chose."
Je suppose que ce message, daté du 18 octobre, a été posté avant le début de la polémique. Car polémique il y a eu (et heureusement) et la contestation a été quand même très forte, notamment sur Internet. Je pense qu'il serait judicieux de mettre une petite note de mise à jour en bas de l'article pour préciser que la contestation a finalement été forte, et a conduit au renoncement dudit Jean Sarkozy (et heureusement...)d'être candidat à la présidence de l'Epad. Par contre il a effectivement été élu administrateur, ce qui est proprement scandaleux vu sa faible expérience, mais légal, étant donné qu'il est élu... (un candidat portant un autre nom que Sarkozy aurait-il été élu? On peut en douter fortement effectivement.

Mon nom est Paul a dit…

Grégoire, ton commentaire dit tout.

Reste qu'une tentative aussi flagrante en dit long sur ce qui est permis dans l'Hexagone.