mercredi 25 mars 2009

So, ze grève ?



« So ? », comme disent les Anglais. « Pis ? », comme on dit au Québec. Quels sont les résultats de la grève du 19 mars ? Moi je sais pas trop : mon Eurostar a roulé à l’heure et j’ai passé un magnifique long week-end à Londres, loin de tout ça. Donc, et alors ? Quoi de neuf ? Y’a-t-il eu révolution ? A-t-on garanti au Français des mesures concrètes pour « mettre plus de social dans la relance » ?

Ça m’intéresse beaucoup alors, dès mon arrivée, je cherche dans Google. « Grève 19 mars », « grève 19 mars résultats », « grève 19 mars réactions »; j’essaie diverses déclinaisons. Et qu’est-ce que je trouve, d’après vous ? Nada. Nothing. Rien pantoute. Que dalle. Une grande majorité d’articles pré-grève qui énumèrent les services perturbés par la manifestation. Un seul article dans lequel une poignée de « secrétaires confédéraux du XYZ » qualifient l’événement de grand succès, comme c’est leur habitude, sans toutefois donner la mesure dudit succès, comme c’est aussi leur habitude. Et du côté des patrons ? L’Express qui titre « Sarkozy fait (presque) le sourd », ainsi que « François Fillon ne propose rien de neuf aux syndicats ». Pas de nouveau plan de relance, pas d’augmentation du SMIC. Bonjour le succès! Efficace, la grève à la française ? J’en suis pas encore convaincu.

Source photo : wikipedia.


On vit à Paris et on oublie certaines choses. On s’habitue. Mais quand on va à Madrid, on découvre qu’un métro peut être modernisé. Même chose à Londres. Pour rentrer, on prend l’Eurostar dans une gare St-Pancrass étincelante et contemporaine. Et après deux heures, on débarque à la Gare du Nord, une espèce de truc d’époque, le décor d’un film d’avant guerre, version rouille et suie. Et ensuite le métro. La ligne 9, comme la majorité des lignes, a une belle rame en ferraille dont la technologie semble dater des années 50 (même si en réalité c’est plutôt les années 70). Enfin, petit saut au supermarché pour acheter des légumes beaucoup trop chers, à la frontière de l’arnaque. C’est ça, rentrer à Paris.

Les Français ont certainement des demandes légitimes. Je ne doute pas de la nécessité d’une action. Quand on constate l’état des infrastructures, et surtout le retard qui s’accumule, on a l’impression que les taxes et impôts très élevés de l’Hexagone sont peut-être mal utilisés. Et quand on va au supermarché, on comprend vite pourquoi le Français est furieux.

À mon arrivé en France, un ami m’a dit : « Tu vas voir, les Français sont des gens très conservateurs ». J’ai l’impression que c’est vrai. Et dans certains domaines, c’est probablement une belle qualité. Les traditions culinaires et vinicoles, c’est précieux et important. Mais du côté « manif » et « revendication », je le réitère, la grève est peut-être un peu dépassée. Une belle petite foule paisible qui marche dans la gaîté et qui rentre chez elle pas trop tard. Pas de quoi impressionner. Il serait peut-être temps de changer. Surtout quand on pèse les résultats.

Et peut-être que certains commencent à s’en rendre compte. On est mercredi, et je reprends la rédaction de ce texte commencé lundi soir. De quoi on m’a parlé aux nouvelles ce soir? Un petit groupe d’employés d’une usine a séquestré un de ses directeurs. C’est la deuxième fois en quelques jours qu’une telle chose arrive. Pas de violence, on fait ça humainement, le directeur est bien traité. Mais il est retenu sur place. Et à Paris, une manif de quelques centaines de travailleurs. Ils ont foutu le feu dans la rue, à côté de l’Élysée. Un peu de chahut pacifique. Pas très original, mais ils ont gueulé un peu plus fort que d’habitude. Et des délégués du gouvernement les ont reçus pour les écouter. Ça me paraît déjà mieux comme résultat, comparé à jeudi.

Guérilla? Petites actions ciblées mais musclées? Gestes surprise et hautement symboliques? Si l’argent est au cœur du problème, frapper là ou il y a de l’argent? Si on est en mesure de mobiliser des milliers de personnes, pourquoi les faire parader paisiblement dans une rue prévue pour gérer les débordements, une allée à moutons? Pourquoi ne pas repenser l’action? Les Français croient encore au pouvoir de la rue, ce que je trouve très louable. Pourquoi ne pas donner aux manifestants des méthodes à la hauteur de leur motivation? On revendique « plus de social dans la relance ». Moi, je revendique « plus de poésie, plus de surprise dans la manif ».

J’étais en Angleterre le week-end dernier. Dans tous les supermarchés britanniques, on trouve de petits sacs de légumes préparés pas chers du tout. Manger ses cinq légumes pas jour à Londres, c’est facile et pas cher. Pourquoi est-ce différent à Paris? Pourquoi le Parisien se fait arnaquer sur les légumes? Pourquoi ça coûte plus cher de faire pousser une carotte ici que dans le Devonshire? Pourquoi, en temps de crise, le Français se fait baiser au supermarché? Il est où le problème? Peut-on le cibler? Et si ces 500 000 personnes, en 1000 petits groupes de 500, allaient paralyser 1000 supermarchés pour une journée. On se couche dans l’allée et on attend que les flics nous traînent dehors. Sortir d’un supermarché 500 humains avachis par le manque de vitamines, because crise = mauvaise alimentation, ça prend un moment. Ou encore mieux : on sort faire ses courses, mais on change d’idée quand vient le temps de payer : « trop cher, désolé ». Et dès le lendemain, y’a un directeur qui dit : « Patron, on vient de perdre 0,3% de notre profit annuel ». Ça paraît pas beaucoup -0,3%. Mais trois fois dans l’année et ca fait -1%. Je vous ferai pas un cours de finance. Mais quand les banquiers qualifient de « pépère » un rendement annuel de 4%, alors qu’un autre rendement est décrit comme « d’agressif » lorsqu’il a juste atteint 8%, perdre 1% de ses recettes annuelles, c’est beaucoup d’argent. Assez pour lancer une réflexion sérieuse. Et faites-moi confiance, un businessman bouge et s’adapte beaucoup plus vite qu’un politicien. Surtout quand ses recettes diminuent.

C’est juste une petite idée comme ça. Mais je suis certain qu’il y a mieux pour combattre la vie chère. Une des choses qui m’étonne le plus en France, c’est la quantité impressionnante d’intermédiaires parasitaires qui sont tolérés dans les processus d’affaires. Pourquoi ne pas cibler ces personnes, ou du moins exiger des mesures pour qu’on puisse les contourner dans nos transactions.

Un exemple parmi tant d’autres : l’agence immobilière. L’équivalent d’un mois de loyer pour la rédaction d’un contrat de 10 pages, un copier-coller d’un contrat-type dans lequel il suffit de modifier quelques lignes là où c’est inscrit « nom du locataire » ou « adresse »? C’est profondément parasitaire. Moi, à mon agence, ils ont quand même réussi à introduire des erreurs dans le contrat. La seule partie bien rédigée, c’est cet endroit où ils indiquent clairement que leur service s’arrête à percevoir une commission usurière, et que leur implication prendra fin dès que seront terminés les cafés qu’ils nous ont si généreusement offert pendant la signature du bail. Désengagement total. Ils n’ont même pas été impliqués dans ma visite de l’appartement. Ce genre de marché parasitaire n’est pas florissant au Canada. Pourquoi l’est-il en France? Au Canada, quand on cherche des locataires, on place une petite annonce ou une affiche dans sa fenêtre. Pas d’intermédiaire. Et un bail-type rédigé par le gouvernement, donc dans les limites de la loi, est disponible pour 3 euros dans les librairies, pharmacies, tabacs, etc. Quelques petites cases à remplir, deux signatures, et c’est terminé.

Y'a-t-il un syndicat qui a pensé à offrir cet encadrement tout simple? "Combattez la vie chère. Téléchargez gratuitement un bail-type sur notre site. Le document a été rédigé par nos conseillers légal, et il vient avec des instructions pour vous aider à le compléter." C'est étrange, mais j'ai l'impression qu'une telle initiative viendra plutôt de Carrefour, qui vous l'offrira à 10 euros, plutôt que d'un grand syndicat.

Bon, je sais que je m’éparpille. Mais pourquoi les Français, qui affichent une belle volonté de s’impliquer socialement, et qui ont des revendications somme toute valables, perdent-ils leur temps dans des manifestations bien paisibles, bien prévisibles, et bien stériles? Des parades organisées par des syndicats sclérosés. Au lieu de faire chier des quidams voyageurs, on pourrait pas cibler la racine du mal? Et le mec qui te prend ton fric, un petit peu plus à tous les jours, il ne voyage pas en train.

Mais bon, si c’est une tradition française, si on aime bien se rassembler pour chanter tout gentiment, le temps d’une petite marche bien encadrée, moi je veux bien m’y habituer. À tout le moins, c’est sympa.


lundi 16 mars 2009

La grève (part III)




Petit post pour ventiler ma frustration.

Ce jeudi, les dirigeants de ce pays, c'est-à-dire les conducteurs de trains, ont décidé de remettre ça avec une autre grève. Question de prouver que celle d'avant n'a rien donné.

Moi, j'avais réservé des billets de train. Voyage à Londres. Cadeau de St-Valentin pour ma copine qui vient d'arriver en France. Bienvenue, ma copine!

Je commence à comprendre pourquoi toute la France prend ses vacances en juillet-août: parce que les conducteurs de train sont probablement en vacances eux-aussi. Et les quelques uns qui travaillent pendant cette période sont probablement payés en triple. Donc, risque moindre.

Comme tout mauvais film, attendez-vous à plusieurs remakes.

samedi 7 mars 2009

Sous-marinier




Ma petite amie est enfin arrivée du Canada il y a trois jours. Avec le noyau de sa vie dans trois valises et deux sacs à dos, elle est venue prendre place près de moi pour un autre bout de chemin.

Petit à petit, elle sort ses trucs et fait se fait une place. En premier, nouveau Mac, un peu de paperasses, sa brosse à dents, des petits cadres-photo à suspendre. Lentement, ses vêtements se réveillent et migrent un par un vers l’armoire. D’ici une semaine, tout devrait être rangé. Comme un chat, elle prend son temps pour se faire aux lieux. Elle renifle, trouve des coins pour une sieste confortable. Pour elle, c’est une nouvelle vie qui commence. Une vraie table rase. Elle passe de boulot-boulot-boulot à rien du tout. Alors je vais la laisser trouver son nouveau « beat ».

Pour moi aussi c’est une nouvelle vie. Un peu d’air frais dans mon minuscule ermitage, où je commençais un peu à m’ensauvager. Ça me fait du bien d’entendre ses petits éclats de rire quand elle lit un de ses courriels rigolos. J’aime beaucoup l’humanité qu’elle porte en elle. Je crois qu’elle m’empêche de sombrer dans mon côté rationnel. Confortable, prévisible, silencieux et efficace. Laissé seul à moi-même, j’ai souvent l’impression de glisser sous la surface de la vie, dans une cadence froide et logistique digne d’Albert Speer.

Quand on est comme moi, on devient vite vieux garçon. J’avais déjà mes petites habitudes bien rodées. J’essaie de chasser ce réflexe. J’ai fait de la place dans la petite armoire de la salle de bain. J’ai jeté quelques trucs déjà inutiles. Ensemble, nous avons fait le Conforama pour un petit bureau de travail. Je devrai sacrifier l’espace habituellement consacré au repassage et au séchage des vêtements. Nous trouverons une autre configuration. Je crois qu’elle aussi fait des efforts : elle revisse le bouchon du dentifrice au lieu de laisser le tube baver sur le lavabo.

Pour des Canadiens, habiter Paris c’est un peu comme vivre dans un sous-marin. Tout est petit, l’espace est compté, il faut optimiser. C’est quelque chose de nouveau pour nous. Je dis à ma copine que c’est un peu comme le camping. On ne se sent jamais vraiment installé. Chez-nous, un beau 100 mètre carrés de permanence au centre-ville, ça fait partie du domaine du possible. À Paris, c’est seulement pour les millionnaires.

Malgré ses sept millions d’habitants, Paris est toute petite. Même que cette ville est trop petite pour moi et mon foie. Après une belle petite soirée à bouffer de petits sushis au petit comptoir d’un petit restaurant, voilà que j’invite ma copine à faire un détour, pour voir la vitrine d’un petit commerce sympa. Une petite idée comme ça, improvisée, juste deux rues à côté de l’itinéraire prévu. Malheur : nous tombons sur mes collègues de travail. Ils sont bourrés, mais pas assez pour ne pas me reconnaître. Délire total. « Paul! Paul! Paul! » Si vous aimez le silence, surtout ne louez pas votre petit chez-vous dans le coin de Bastille. Donc, j’étais cuit. En deux secondes, ils étaient déjà trois sur moi à m’empoigner tout en chantant des chansons de Dunkerque. Dans un bar pas loin, on m’a forcé deux verres de rhum dans le nez pendant que ma jolie alternait entre une coupe de piquette et les haleines d’ivrognes sympathiques mais quelque peu dégoulinants.

Un peu plus tard, alors que mes amis se faisaient virer du bar pour tapage, ma copine et moi sommes sortis pour les attendre dans la rue. Et se sont écoulées cinq secondes salvatrices pendant lesquelles j’ai eu le temps de lui proposer ceci : « On file à l’anglaise? » Elle n’a pas hésité. Beau synchronisme. C’est un beau début, je crois. C’est prometteur. Elle me sauvera probablement la santé. Et pour ce qui est du romantisme, y’a de belles villes à deux heures de train. Paris, c’est trop petit.


dimanche 1 mars 2009

La Défense a un gros sexe



(Avertissement : cette chronique est d’une vulgarité dégoûtante. C'est la faute à Dunkerque et ses chansons grivoises.)

Il y a environ 100 ans, un cocaïnomane viennois a convaincu l’Occident que tout n’est que pénis et vagin. Ce courant de pensée toujours en vogue nous permet de jeter sur notre environnement un regard différent. Elle est maintenant courante la description du gratte-ciel moderne comme symbole phallique de l’égo corporatif. Une structure oblongue, solide et inflexible, dans laquelle les puissants occupent le sommet, soit la tête de la bite. Et tout le monde rêve d’être sur le gland, même les femmes, quoique paradoxalement la majorité de ceux qui y arrivent sont des hommes.

Assez dotée en ego, et toujours à l’avant-garde des philosophies nouvelles, la France a vite réagi à ce tournant dans l’histoire de la pensée. En 1889, quelques années avant que Freud ne formalise ses idées sur la sexualité, l’Hexagone dotait Paris d’un beau gros pénis d’acier : la Tour Eiffel. Cette érection est restée la plus haute du monde pendant pas moins de 40 ans, un exploit de priapisme qui a peut-être contribué au renom de la France en matière de cinéma coquin.

Cent ans plus tard, la République se donne un nouveau symbole, cette fois dans le quartier de la Défense. Mais, à la surprise de tous, ce n’est pas une autre énorme zizi qu’on érige en 1989. Pas du tout. La France se donne plutôt un gigantesque « étui à clarinette » (NDLR : quel sujet riche en euphémismes). Une belle grosse matrice bien ouverte et accueillante : la Grande Arche.



Depuis l’apparition de cette structure inaugurale, le thème de l’arche est fréquemment repris à la Défense. Sont nombreux les édifices percés, ou fendus par une division sinueuse rappelant une belle grosse craque de fesse. Sont multiples les chemins menant à des cours intérieures chatoyantes évoquant peut-être la douceur des neuf premiers mois de l’existence.

Que penser de tout cela? Difficile à dire. La France est peut-être encore en avance sur son temps, nous proposant une vision qui se cristallisera dans nos esprits dans quelques décennies. Ce nouveau décor planté de chattes marque-t-il l’avènement d’une vraie égalité entre hommes et femmes? Cet aménagement serait-il l’expression d’une génération sexuellement libérée? On peut entre autres citer les très évocatrices tours Pacific et Kupka, dont les trous sont reliés par une superbe passerelle écarlate et plutôt longue. Devrions-nous parler de « ménage à trois » architectural?



Chose certaine, pour qui souhaite voir sont esprit être envahi de symbolisme lubrique, il suffit de s’arrêter le temps d’un café, pour observer l’arrivée matinale des travailleurs. En jets brusques et subits, Paris déverse au bout de son RER des giclées de petits humains qui sortent de la terre et se répandent sur le visage de la Défense. Ils avancent au pas de course, propulsés malgré eux par ce grand spasme quotidien devant féconder pour une dizaine d’heures les grandes corporations. Quand on plisse un peu les yeux et que l’image devient floue, on croirait presque revoir ces petits films granuleux qu’on nous passait dans les classes de bio.